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le 3 mars, à deux heures de l’après-midi, que Buonaparte avoit quitté l’île d’Elbe ; et le même jour, à cinq heures du soir, une estafette porta à Pétersbourg l’ordre de faire partir la garde impériale russe ; les autres souverains expédièrent des courriers aux ministres et aux commandants de leurs provinces ; en moins d’une semaine le signal fut donné à toutes les armées de l’Europe : ce n’étoit pas, nous le répétons, contre douze cents hommes, qu’un seul pont rompu pouvoit arrêter dans les défilés de Gap, qu’étoit dirigée tant de prévoyance, de résolution et d’activité.

La seconde question du procès-verbal porte sur le traité de Paris, que Buonaparte offre de sanctionner, tout en affectant de l’appeler un traité honteux. Le congrès répond avec raison, et conformément à la déclaration du 31 mars 1814, que Buonaparte, si les alliés lui eussent accordé la paix, n’auroit point obtenu les conditions favorables de ce traité. On eût exigé de lui des garanties qu’on n’a pas demandées à Louis XVIII. Il eût été obligé de payer des contributions, de céder des provinces. Sa parole n’eût pas suffi pour délivrer, comme par enchantement, la France de quatre cent mille étrangers. Oseroit-on prétendre que la politique ne doive pas faire entrer dans ses motifs et dans ses considérations le caractère moral des chefs des nations ? L’Angleterre soumit à l’arbitrage de saint Louis de graves débats qu’elle n’eût pas fait juger par un capitaine de la Ligue. Si la France a été de nos jours exposée à la conquête, c’est par Buonaparte ; si la France est sortie entière des mains de l’ennemi, elle le doit à Louis XVIII. La France auroit peut-être pu garder son tyran par un traité de Paris ; mais en gardant son esclavage, elle eût perdu ses provinces et son honneur.

On nous assure que Buonaparte est bien changé. Non ; ce n’est pas à quarante-cinq ans, quand on est né sans entrailles, quand on s’est enivré du pouvoir absolu, que l’on change dans l’espace de huit mois. Buonaparte, traîné par des commissaires à l’île d’Elbe, se cachant sous leurs pieds pour se soustraire aux vengeances du peuple, n’a pas été ennobli par le malheur, mais dégradé par la honte : il n’y a rien à espérer de lui.

Il est donc vrai que la France n’a eu aucune raison de se plaindre du traité de Paris… Que ce traité étoit même un bienfait immense pour un pays réduit, par le délire de son chef, à la situation la plus désastreuse[1]. Le maréchal Ney, dans sa lettre du 5 avril 1814, adressée à M. le comte de Talleyrand, avoue que Buonaparte reconnoissoit le danger de

  1. Extrait du procès-verbal du 6 mai.