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Voilà les autres merveilles opérées dans un moment par Buonaparte : vingt-quatre heures séparent et tant de biens et tant de maux.

Sire, vous reparoîtrez, et le bonheur rentrera dans notre chère patrie. Vos sujets verront l’abîme où quelques factieux les ont entraînés : ils se hâteront d’en sortir ; ils accourront à vous, les uns pour recevoir la récompense due à leur fidélité, les autres pour implorer cette miséricorde dont ils n’ont pu épuiser les trésors. Oui, sire, innocents ou coupables, ils trouveront leur salut en se jetant dans vos bras ou à vos pieds.

Mais tandis que je m’efforce de fixer sous les yeux de Votre Majesté le tableau de l’intérieur de la France, ce tableau n’est déjà plus le même : demain il changera encore. Quelque rapidité que je puisse mettre à le retracer, il me seroit impossible de suivre les mouvements convulsifs d’un homme agité par ses propres passions et par celles qu’il a si follement soulevées. Je disois au roi que Buonaparte avoit remporté une victoire sur le parti républicain, et ce parti l’a vaincu de nouveau. La publication de l’Acte additionnel lui a enlevé, comme nous l’avions prévu, le reste de ses complices. Attaqué de toutes parts, il recule, il retire à ses commissaires extraordinaires la nomination des maires des communes, et rend cette nomination au peuple. Effrayé de la multiplicité des votes négatifs, il abandonne la dictature, et convoque la chambre des représentants en vertu de cet Acte additionnel qui n’est point encore accepté. Errant ainsi d’écueil en écueil, il se replie en cent façons pour éluder ses engagements et ressaisir le pouvoir qui lui échappe : à peine délivré d’un danger, il en rencontre un nouveau. Ce souverain d’un jour osera-t-il instituer une pairie héréditaire ? Comment gouvernera-t-il ses deux chambres, qu’il est forcé de réunir ? Montreront-elles à ses ordres une obéissance passive ? N’élèveront-elles pas la voix ? Ne chercheront-elles point à sauver la patrie ? Quels seront les rapports de ces chambres avec l’assemblée du champ de mai, qui n’a plus de véritable but, puisque l’Acte additionnel est mis à exécution avant que les suffrages aient été comptés ? Cette assemblée du champ de mai, composée de trente mille électeurs, ne se croira-t-elle pas la véritable représentation nationale, supérieure en autorité à cette chambre des représentants qu’elle aura elle-même choisis ? Il est impossible à l’intelligence humaine de prévoir ce qui sortira d’un pareil chaos ; ces changements subits, cette étrange confusion de toutes choses annoncent une espèce d’agonie du despotisme : la tyrannie usée et sur son déclin conserve encore l’intention du mal, mais elle paroît en avoir perdu la puissance. On diroit en effet que Buonaparte, jouet de tout ce qui l’environne, ne prend plus