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pent, la vérité perce de toutes parts. On se trouve avec épouvante sous le règne de la terreur et de la guerre. Chacun se demande si, après tant d’années de souffrances, de sang et de meurtres, il faut recommencer la révolution. Les François se voient une seconde fois isolés au milieu de l’Europe, séparés du monde, comme des hommes atteints d’une maladie contagieuse. Les portes de leur beau pays, ouvertes par le roi à la foule des voyageurs, se sont tout à coup fermées. L’Europe se tait ; et dans ce silence effrayant on n’entend retentir que les pas d’un million d’ennemis qui s’avancent de toutes parts vers les frontières de la France.

Les citoyens, alarmés, tournent les yeux vers leur roi, ils l’appellent à leur secours ; et son silence se joignant à celui du monde civilisé semble annoncer quelque catastrophe terrible. Les soldats eux-mêmes s’étonnent ; ils se demandent qu’est devenue la fille des Césars, où sont les dépouilles qui leur avoient été promises ? Un grand nombre désertent ; des officiers se retirent ; la garde même est triste et découragée ; les finances s’épuisent ; les soixante-douze millions restés au trésor sont déjà dissipés. Plusieurs départements refusent de payer l’impôt et de fournir des hommes. Les provinces de l’ouest et du midi ne sont pas entièrement soumises ; elles n’attendent qu’un nouveau signal pour reprendre les armes. La foiblesse de Buonaparte s’accroît à mesure que la force du roi augmente. La comparaison de ce que la France étoit il y a un mois et de ce qu’elle est aujourd’hui frappe tous les esprits, et reporte avec douleur la pensée sur les biens qu’on a perdus.

Le 28 du mois de février dernier[1] la France étoit en paix avec toute la terre ; son commerce commençoit à renaître, ses colonies à se rétablir ; ses dettes s’acquittoient, ses blessures se fermoient ; elle reprenoit dans la balance politique de l’Europe sa prépondérance et son utile autorité. Jamais elle n’avoit eu de meilleures lois, jamais elle n’avoit joui de plus de liberté ; elle sortoit de ses débris et de ses tombeaux heureuse, brillante et rajeunie. Dix mois d’une restauration accomplie au milieu de tous les genres d’obstacles avoient suffi à Louis XVIII pour enfanter ces merveilles.

Le 1er de mars[2] la France est en guerre avec le monde entier. Elle redevient l’objet de la haine et de la crainte de l’univers. Elle voit renaître dans son sein les factions qui l’ont déchirée : ses enfants vont être de nouveau traînés au carnage, ses lois détruites, ses propriétés bouleversées. Courbée sous un double despotisme, elle ne conserve de sa restauration que des regrets, de sa liberté qu’une vaine ombre.

  1. 1815.
  2. Ibid.