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l’Acte additionnel lui sera fatal. Si cet Acte est observé, il y a dans son ensemble assez de liberté pour renverser le tyran ; s’il ne l’est pas, le tyran n’en deviendra que plus odieux. D’un autre côté, Buonaparte perd tout à la fois, par cet Acte, et la faveur des républicains et la force révolutionnaire du jacobinisme : les démagogues ne veulent ni de la pairie ni des deux chambres ; ce qu’ils veulent surtout, c’est l’égalité absolue : ils préféreroient même à ces institutions de Buonaparte son ancien despotisme : du moins ce joug étoit un niveau. Enfin, comme l’Acte additionnel n’est après tout que la Charte, qu’est-ce que les François auront gagné au retour de l’usurpateur ? Vont-ils de nouveau soutenir une guerre cruelle, exposer leur patrie à une seconde invasion pour obtenir précisément ce qu’ils avoient sous le roi, avec la paix, la considération et le bonheur ? Ne se trouvent-ils pas à peu près dans la même position que les alliés par rapport au traité de Paris ? Ceux-ci disent à Buonaparte : « Nous voulons le traité de Paris, mais nous le voulons sans vous, parce qu’un autre que vous en tiendra toutes les conditions, et que vous n’en remplirez aucune. »

Les François diront à Buonaparte : « Nous voulons la Charte constitutionnelle, mais nous ne la voulons qu’avec le roi, parce qu’il y sera fidèle et que vous l’auriez bientôt violée. » Ainsi, quelque parti que prenne Buonaparte, qu’il soit tyran, jacobin, constitutionnel, on trouve toujours que ses triomphes sont des défaites, et que son despotisme, ses violences, ses ruses, viennent, sire, échouer devant votre autorité légale, votre modération constante et votre parfaite sincérité.

Il n’y a de salut que dans le roi : l’Europe connoît sa foi, sa loyauté, sa sagesse ; elle ne peut trouver de garantie que dans son trône et dans sa parole. Sire, vous êtes l’héritier naturel de tous les pouvoirs usurpés dans votre royaume. Toutes les révolutions en France se feront pour vous. Indépendamment de ses droits, Votre Majesté a sur ses ennemis un avantage immense : son gouvernement est le seul qui depuis vingt-cinq ans ait paru raisonnable à tous ; le seul qui, en consacrant les principes d’une liberté sage, ait donné ce que la révolution a tant de fois promis et qu’elle promet encore. On a reconnu, sire, par l’essai qu’on a fait de vos vertus, que vous êtes le prince qui convient le mieux à la France ; que l’ordre des choses établi pouvoit subsister. Quelques années auroient suffi pour le porter à sa perfection ; il avoit en lui tous les principes de durée, et il n’a été momentanément suspendu que par l’unique chance qui pouvoit en arrêter le cours.

Mais déjà tout se prépare pour le prompt rétablissement du trône. La France commence à revenir de sa surprise, les illusions se dissi-