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l’envelopper, il renverse les barrières républicaines, et proclame de sa propre autorité non une constitution, mais un Acte additionnel aux constitutions de l’empire. Les citoyens seront appelés à consigner leurs votes touchant cet Acte sur des registres ouverts aux secrétariats des diverses administrations ; et tout le travail de l’assemblée du champ de mai se réduira au dépouillement d’un scrutin.

Buonaparte gagne par cette publication deux points essentiels : supposant d’abord que rien n’est détruit dans ce qu’il appelle ses constitutions, il regarde l’empire comme existant ; il évite les contestations sur son titre et sur sa réélection. Ensuite il se place hors de l’atteinte du champ de mai, puisqu’il soustrait l’Acte additionnel à l’acceptation des électeurs, et leur interdit par le fait toute discussion politique. Ainsi cette assemblée, à qui l’on attribuera peut-être le droit de voter la mort de deux millions de François, n’aura pas celui de décréter leur liberté.

Au reste, sire, la nouvelle constitution de Buonaparte est encore un hommage à votre sagesse : c’est, à quelques différences près, la Charte constitutionnelle. Buonaparte a seulement devancé, avec sa pétulance accoutumée, les améliorations et les compléments que votre prudence méditoit. Quelle simplicité de croire que s’il n’avoit rien à craindre de l’Europe, il respecteroit tout ce qu’il promet dans son Acte additionnel, qu’il laisseroit écrire tout ce qu’on voudra, qu’il n’exileroit, ne fusilleroit personne ! Il en seroit de la chambre des pairs et de celle des députés comme il en a été du tribunat, du sénat et du corps Législatif.

Nous voyons, sire, dans le considérant de l’Acte additionnel que Buonaparte, s’occupant d’une grande confédération européenne (c’est-à-dire la conquête des États voisins), avoit ajourné la liberté de la France.

Il en est arrivé ce léger malheur, que quatre ou cinq millions de François morts pour le système fédératif n’ont pu jouir de la liberté que Buonaparte réservoit aux générations présentes. Que diront aujourd’hui ceux qui trouvoient mauvais que Votre Majesté s’intitulât roi par la grâce de Dieu, qu’elle eût gardé l’initiative des lois, qu’elle se fût réservé l’espace d’une année pour l’épuration des tribunaux et la nomination des juges à vie ? L’Acte additionnel conserve ces dispositions. Que diront ceux qui oseroient blâmer le roi d’avoir donné la Charte de sa pleine autorité, au lieu de l’avoir reçue du peuple ? Buonaparte imite cet exemple. — Mais il soumet sa constitution à l’acceptation de la nation ! À qui la soumet-il ? à des citoyens qui iront s’inscrire sur un registre dans une municipalité. Si les votes sont peu