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elle suffîroit seule pour le renverser ; je parle des principes de mort qui existent dans son gouvernement même : c’est par l’examen de la nature et de l’esprit de son gouvernement que je terminerai ce rapport.

À peine, sire, votre retraite momentanée eut-elle suspendu le règne des lois, que votre royaume se vit menacé d’une alliance hideuse entre le despotisme et la démagogie : on promit à vos peuples une liberté d’une espèce nouvelle. Cette liberté devoit naître au champ de mai, le bonnet rouge et le turban sur la tête, le sabre du mamelouck et la hache révolutionnaire à la main, entourée des ombres de ces milliers de victimes sacrifiées sur les échafauds, dans les campagnes brûlantes de l’Espagne, dans les déserts glacés de la Russie : le marchepied de son trône eût été le corps sanglant du duc d’Enghien, et son étendard la tête de Louis XVI.

Buonaparte, rentré en France, a senti qu’il ne pouvoit régner dans le premier moment par les principes qui avoient contribué à précipiter sa chute. Le gouvernement du roi avoit répandu une si grande liberté, qu’on ne pouvoit se jeter tout à coup dans l’arbitraire sans révolter les esprits. Le roi, tout absent qu’il étoit, forçoit le tyran à ménager les droits du peuple ; bel hommage rendu à la légitimité ! D’une autre part, l’homme que l’on avoit vu tremblant sous les pieds des commissaires étrangers qui le conduisoient comme un malfaiteur à l’île d’Elbe, n’étoit plus aux yeux de la nation le vainqueur d’Austerlitz et de Marengo ; il ne pouvoit plus commander de par la Victoire. Déjà contenu dans ses excès par la nouvelle direction de l’opinion publique, il trouvoit encore devant lui des hommes disposés à lui disputer le pouvoir.

Ces hommes étoient d’abord ceux qu’on peut appeler les républicains de bonne foi : délivrés des chaînes du despotisme et des lois de la monarchie, ils désiroient garder cette indépendance républicaine impossible en France, mais qui du moins est une noble erreur. Venoient ensuite ces furieux qui composoient l’ancienne faction des Jacobins. Humiliés de n’avoir été sous l’empire que des espions de police d’un despote, ils étoient résolus à reprendre pour leur propre compte cette liberté de crimes dont ils avoient cédé pendant quinze années le privilège à un tyran.

Mais ni les républicains, ni les révolutionnaires, ni les satellites de Buonaparte, n’étoient assez forts pour établir leur puissance séparée, ou pour se subjuguer les uns les autres. Menacés au dehors d’une invasion formidable, poursuivis au dedans par l’opinion publique, ils comprirent que s’ils se divisoient, ils étoient perdus. Afin d’échapper au danger, ils ajournèrent leurs querelles : les uns apportoient à la