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éloigné des champs de bataille par la fortune, se précipite sur la gloire aussitôt qu’il l’aperçoit, et la ressaisit comme une portion du patrimoine de ses pères : mais la trahison arrête un fils de France aux mêmes lieux où elle avoit laissé passer Buonaparte. Que de malheurs Mgr le duc d’Angoulême eût évités à notre patrie s’il avoit pu arriver jusqu’à Lyon ! Un soldat rebelle, qui avoit vu ce prince au milieu du feu, disoit, en admirant sa valeur : « Encore une demi-heure, et nous allons crier vive le roi ! »

Mais que dire de la défense de Bordeaux par Madame ? Non, ce n’étoient pas des François que les hommes qui ont pu tourner leurs armes contre la fille de Louis XVI ! Quoi ! c’est l’orpheline du Temple, celle qui a tant souffert par nous et pour nous, celle à qui nous ne pouvons jamais offrir trop d’expiations, d’amour et de respects, que l’on vient de chasser à coups de canon de sa terre natale ! Grand Dieu ! et pour mettre à sa place l’assassin du duc d’Enghien, le tyran de la France et le dévastateur de l’Europe ! Les balles ont sifflé autour d’une femme, autour de la fille de Louis XVI ! Si elle rentre en France, on lui appliquera les décrets contre les Bourbons, c’est-à-dire qu’on la traînera à l’échafaud de son père et de sa mère ! Elle a paru, au milieu de ces nouveaux périls, telle qu’elle se montra, dans sa première jeunesse, au milieu des assassins et des bourreaux. Fille de France, héritière de Henri IV et de Marie-Thérèse, nourrie de tribulations et de larmes, éprouvée par la prison, les persécutions et les dangers, que de raisons pour savoir mépriser la vie ! Je ne voudrois en preuve de la réprobation du gouvernement de Buonaparte que d’avoir laissé insulter Mme la duchesse d’Angoulême ; la représenter baisant les mains des soldats pour les engager à rester fidèles, l’appeler une femme furieuse, à l’instant où ses vertus, ses malheurs et son courage excitoient l’admiration de toute la terre, c’est se condamner au mépris comme à l’exécration du genre humain.

§ IV.
Esprit du gouvernement.

Sire, les empires se rétablissent autant par la mémoire des choses passées que par le concours des faits présents. Les souvenirs que Votre Majesté et son auguste famille ont laissés en France vous y préparent un prompt retour. Mais il est encore d’autres causes qui rendent la chute de Buonaparte infaillible. Je ne parle pas de la guerre étrangère,