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quelques vanités ont choqué quelques vanités. Il est bien essentiel de soigner, en France, cet amour-propre si dangereux et si susceptible ; si on le satisfait à peu de frais, il s’aigrit pour peu de chose ; et de cette source misérable peuvent encore renaître d’épouvantables révolutions. Mais les ministres établis pour diriger les affaires humaines ne peuvent pas toujours régler les passions des hommes.

Enfin, sire, vous vous apprêtiez à couronner les institutions dont vous aviez posé la base, en attendant dans votre sagesse l’instant propre à l’accomplissement de vos projets. Vous saviez qu’en politique il ne faut rien précipiter ; vous vous étiez donné quelque temps pour essayer nos mœurs, connoître l’esprit public, étudier les changements que la révolution et vingt-cinq années d’orages avoient apportés dans le caractère national. Suffisamment instruit de toutes ces choses, vous aviez déterminé une époque pour le commencement de la pairie héréditaire ; le ministère eût acquis plus d’unité ; les ministres seroient devenus membres des deux chambres, selon l’esprit même de la Charte ; une loi eût été proposée afin qu’on pût être élu membre de la chambre des députés avant quarante ans, et que les citoyens eussent une véritable carrière politique. On alloit s’occuper d’un code pénal pour les délits de la presse, après l’adoption de laquelle loi la presse eût été entièrement libre ; car cette liberté est inséparable de tout gouvernement représentatif. On avoit d’ailleurs reconnu l’inutilité ou plutôt le danger d’une censure, qui, n’empêchant pas le délit, rendoit les ministres responsables des imprudences des journaux.

Dieu a ses voies impénétrables et ses jugements imprévus ; il a voulu suspendre un moment le cours des bénédictions que Votre Majesté répandoit sur ses sujets. De ces Bourbons, qui avoient ramené le bonheur dans notre patrie désolée, il ne reste plus en France que les cendres de Louis XVI ! Elles règnent, sire, dans votre absence ; elles vous rendront votre trône comme vous leur avez rendu un tombeau.

Mais, au milieu de tant d’afflictions, combien aussi de consolations pour le cœur de Votre Majesté ! L’amour et les regrets de tout un peuple vous suivent et vous accompagnent ; des prières s’élèvent de toutes parts pour vous vers le ciel ; votre retraite d’un moment est une calamité publique. Je vois autour de leur roi les vieux compagnons de son infortune, ces vétérans de l’exil et du malheur, qui sont revenus à leur poste ; j’aperçois ces grands capitaines, si chers à l’armée, qu’ils n’ont jamais conduite que dans les sentiers de l’honneur, vrais représentants de la valeur françoise et de la foi militaire. D’autres maréchaux, qui n’ont pu suivre vos pas, ont refusé de violer les serments qu’ils vous avoient faits, plus glorieux dans leur repos