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et vous accuse. Buonaparte osera-t-il porter le même défi à la France ?

Mais, sire, vos ministres n’étoient pas de bonne foi : ils vouloient détruire la Charte. Le nouveau gouvernement de la France, employant les moyens les plus odieux pour attaquer le gouvernement royal, a fait rechercher soigneusement tous les papiers qui pouvoient accuser celui-ci. On a trouvé dans une armoire secrète de l’appartement d’un de vos ministres des lettres qui devoient révéler d’importants mystères. Eh bien, qu’ont-elles appris au public, ces lettres confidentielles, inconnues, cachées, qu’on a eu la maladresse de publier (car la passion fait aussi des fautes, et les méchants ne sont pas toujours habiles) ? Elles ont appris que vos ministres, différant entre eux sur quelques détails, étoient tous d’accord sur le fond ; qu’ils pensoient qu’on ne pouvoit régner en France que par la Charte et avec la Charte, et que les François aimant et voulant la liberté, il falloit suivre les mœurs et les opinions du siècle.

Si nous possédions les papiers secrets de Buonaparte, il est probable que nous y trouverions des révélations d’une tout autre nature.

Oui, sire, et c’est ici l’occasion d’en faire la protestation solennelle : tous vos ministres, tous les membres de votre conseil sont inviolablement attachés aux principes d’une sage liberté ; ils puisent auprès de vous cet amour des lois, de l’ordre et de la justice, sans lesquels il n’est point de bonheur pour un peuple. Sire, qu’il nous soit permis de vous le dire avec le respect profond et sans bornes que nous portons à votre couronne et à vos vertus : Nous sommes prêts à verser pour vous la dernière goutte de notre sang, à vous suivre au bout de la terre, à partager avec vous les tribulations qu’il plaira au Tout-Puissant de vous envoyer, parce que nous croyons devant Dieu que vous maintiendrez la constitution que vous avez donnée à votre peuple ; que le vœu le plus sincère de votre âme royale est la liberté des François. S’il en avoit été autrement, sire, nous serions toujours morts à vos pieds pour la défense de votre personne sacrée, parce que vous êtes notre seigneur et maître, le roi de nos aïeux, notre souverain légitime ; mais, sire, nous n’aurions plus été que vos soldats, nous aurions cessé d’être vos conseillers et vos ministres.

Sire, un roi qui peut écouter un pareil langage n’est pas un tyran ; ceux à qui votre magnanimité permet de tenir ce langage ne sont pas des esclaves. Avec la même sincérité, sire, nous avouerons que votre ministère a pu tomber dans quelques méprises. Quel est le gouvernement établi au milieu d’une invasion étrangère, du choc de tous les intérêts, des cris de toutes les passions, qui n’eût pas commis de plus graves erreurs ? Le gouvernement usurpateur vient de nous donner