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sance du soldat[1]. Faut-il se repentir de ces éloges ? Non, sire, l’infidélité de quelques chefs et la foiblesse d’un moment ne peuvent effacer tant de gloire : les droits de l’honneur sont imprescriptibles, malgré les fautes passagères qui peuvent en ternir l’éclat.

Enfin, sire, vient la grande accusation de despotisme. Le despotisme des Bourbons ! Ces deux mots semblent s’exclure. Et c’est Buonaparte qui accuse Louis XVIII de despotisme ! Il faut bien compter sur la stupidité ou sur la perversité des hommes pour avancer des calomnies aussi grossières. Les plus audacieux mensonges ne coûtent rien à l’usurpateur ; il ne rougit point de tomber dans les contradictions les plus manifestes ; car en même temps qu’il représente le gouvernement royal comme violent et tyrannique, il lui reproche l’incapacité et la foiblesse.

Étoit-il tyrannique, le gouvernement qui craignoit si fort de blesser les lois qu’il a mieux aimé s’exposer aux plus grands périls que d’employer l’autorité arbitraire pour arrêter des conspirateurs ? Étoit-il tyrannique, le gouvernement qui, armé de la loi de la censure, laissoit publier contre lui les écrits les plus séditieux ?

A-t-on vu sous le règne de Louis XVIII, comme sous celui de Buonaparte, plus de sept cents personnes retenues dans les prisons après avoir été acquittées par les tribunaux ?

Le roi a-t-il cassé les décisions des jurés ? Le général Exelmans a-t-il été arrêté depuis le jugement qui déclaroit son innocence ?

Si les généraux d’Erlon et Lallemant avoient tenté sous Buonaparte ce qu’ils ont fait sous le roi, vivroient-ils encore ?

Quoi, sire, vous avez pardonné non-seulement toutes les fautes, mais encore tous les crimes ! Après tant de malheurs, tant de souvenirs amers, tant de sujets de vengeance, un généreux oubli a tout effacé ! Vous avez reçu dans votre palais et ceux qui vous avoient servi et ceux qui vous avoient offensé ; vous n’avez fait aucune distinction entre le fils innocent et le fils repentant ; vous avez réalisé dans toute son étendue, dans toute sa simplicité la touchante parabole de l’enfant prodigue, et on ose parler de la tyrannie des Bourbons !

Ah, sire, quand tout le peuple rassemblé sous vos fenêtres, la veille de votre départ, témoignoit, tantôt par sa morne tristesse, tantôt par ses cris d’amour, combien il chérissoit son père ; quand les paysans de l’Artois et de la Flandre vous suivoient en vous comblant de bénédictions, ce n’étoit pas un tyran qu’ils pleuroient ! Que le fils que vous avez privé de son père, que le citoyen que vous avez dépouillé se lève

  1. Voyez, ci-dessus, les Réflexions politiques.