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lections filiales. Le ministre des affaires étrangères de Buonaparte fait dans le Moniteur de singuliers raisonnements : « Son maître, dit-il, propose de tenir le traité de Paris. Les puissances alliées, pour toute réponse, font marcher leurs armées. Or, si les puissances n’en vouloient qu’à un seul homme, comme elles le prétendent, elles n’auroient pas besoin de six cent mille soldats pour l’attaquer. Donc, conclut M. le duc de Vicence, c’est au peuple François qu’elles font la guerre. » Mais si ces puissances acceptent le traité de Paris avec Louis XVIII, et si elles le rejettent avec Buonaparte, n’est-il pas clair qu’un seul homme fait ici toute la différence, et qu’elles n’en veulent réellement qu’à un seul homme ?

Les puissances alliées n’ont pas le droit de s’immiscer dans les affaires de France. Non, et elles déclarent elles-mêmes qu’elles ne prétendent point régler nos institutions politiques. Mais quand les François, opprimés par une faction, voient reparoître à leur tête l’ennemi du genre humain, l’homme qui a porté le fer et la flamme chez toutes les nations de l’Europe, n’est-ce pas le devoir des souverains d’écarter le nouveau péril qui les menace ? Qui peut se fier à la parole de Buonaparte ? Qui croira à ses serments ? Par ses protestations pacifiques, il ne veut que gagner du temps et rassembler ses légions.

Convient-il à la France elle-même, convient-il aux États voisins de laisser subsister au centre du monde civilisé une poignée de militaires parjures, qui, maîtrisant jusqu’à l’armée, disposent à leur gré du sceptre de saint Louis, le donnent et le reprennent au gré de leur caprice ? Quoi ! un souverain légitime pourra être arraché des bras de son peuple par une horde de janissaires ! Quoi ! tous les gouvernements pourront être mis en péril, sans qu’on ait le droit de chercher à arrêter ces violences ! Ce qui se fait sans inconvénient pour l’Europe chez les corsaires de l’Afrique peut-il s’accomplir également chez les François sans danger pour l’ordre social ? Ne doit-on pas prendre contre les mœurs et les mameloucks de la moderne Égypte autant de précautions que contre la peste qui nous vient de ce pays ? Les souverains de la Russie, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Espagne, du Portugal, de la Sicile, de la Suède, du Danemark, consentiront-ils à recevoir, par droit d’exemple, la couronne de la main de leurs soldats ? Enfin, les nations qui chérissent les lois, la paix, la liberté, sont-elles décidées à mettre tous ces biens sous la protection du despotisme militaire ?

Si Buonaparte étoit aussi pacifique que ses ministres nous l’annoncent, feroit-il tous les jours des actes d’agression contre les cours