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pour être mises aux mains de la multitude ; mais cette arme offre peu de ressource, et l’on ne veut pas sans doute renouveler le décret pour la formation des compagnies en blouse bleue, en braccha, en bonnet gaulois. Quant à cette valeur, qui supplée chez les François à toutes les armes, il est certain que les gardes nationales ne l’emploieront point contre Votre Majesté. Toute la force morale de la France et le torrent de l’opinion sont absolument pour le roi. Dans beaucoup de départements la garde nationale ne se lèvera point, ou ne se formera qu’avec une difficulté extraordinaire ; enfin, le citoyen opprimé par le militaire se laissera moins subjuguer si on lui donne des armes ; et Buonaparte, au lieu de fondre un peuple qui le hait dans une armée qu’il séduit, perdra peut-être une soldatesque dévouée dans une population ennemie.

Pour contre-balancer ce grand arrêt de mort, on devoit s’attendre à quelque mesure philanthropique. Aussi Buonaparte, qui demande la vie de deux millions de François, s’attendrit sur le sort des habitants de la Bourgogne et de la Champagne. Il ne sauroit trop, il est vrai, dédommager les victimes de son ambition, puisque c’est lui qui attira les étrangers dans le cœur de la France ; qui les ramena, pour ainsi dire par la main, des plaines du Borysthène aux rives de la Loire : il est juste de secourir les malheureux qu’on a faits. Votre Majesté avoit mis à soulager les tristes victimes de l’usurpateur non la stérile ostentation d’un charlatan d’humanité, mais la bonté féconde d’un père. Votre auguste frère alloit, sire, dans les ruines des chaumières embrasées essuyer les larmes qu’il n’avoit pas fait répandre. La religion venoit au secours de ses œuvres charitables, et rouvroit dans tous les cœurs les sources de la pitié. Ce n’étoit point par des impôts pesants pour une autre partie du peuple qu’on secouroit le peuple ; le malheureux n’étoit point mis à contribution pour le malheureux ; l’humanité n’excluoit point la justice.

Sire, vous aviez tout édifié et Buonaparte a tout détruit. Vos lois abolissoient la conscription et la confiscation ; elles ne permettoient ni l’exil, ni l’emprisonnement arbitraire ; elles laissoient aux représentants du peuple le soin d’asseoir les contributions ; elles assuroient, avec un droit égal aux honneurs, la liberté civile et politique. Buonaparte paroît, et la conscription recommence, et les fortunes sont violées. La chambre des pairs et celle des députés sont dissoutes. L’impôt est changé, modifié, dénaturé par la volonté d’un seul homme ; les grâces accordées aux défenseurs de la patrie sont rappelées ou du moins contestées. Votre maison civile et militaire est condamnée ; un décret oblige quiconque a rempli des fonctions ministérielles à s’éloigner de