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remplacera par des biens situés en France une partie des dotations de l’armée. Et de quels biens s’agit-il ? Indubitablement des vignes de Bordeaux, des oliviers de Marseille, en un mot de tous les biens des particuliers et des villes qui auront manifesté leur attachement à la cause des Bourbons.

Sire, le soixante-sixième article de la Charte porte : « La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra être rétablie. » Ainsi Votre Majesté, dépouillée si longtemps de ses domaines par ses ennemis, n’a trouvé d’autres moyens de se venger d’eux qu’en abolissant l’odieux principe de la confiscation des biens. De quel côté est le gouvernement équitable ? De quel côté est le véritable roi ?

Vous aviez encore aboli la conscription ; vous croyiez, sire, avoir pour jamais délivré de ce fléau votre peuple et le monde. Buonaparte vient de le rappeler ; seulement il l’a produit sous une autre forme, en évitant une dénomination odieuse. Le décret sur la garde nationale est ce que la révolution a enfanté jusqu’à ce jour de plus effrayant et de plus monstrueux : trois mille cent trente bataillons se trouvent désignés, à raison de sept cent vingt hommes ; ils formeront un total de deux millions deux cent cinquante-trois mille six cents hommes. À la vérité, il n’y a de rendus mobiles à présent que deux cent quarante bataillons, choisis parmi les chasseurs et les grenadiers, représentant cent soixante-douze mille huit cents hommes. On n’est pas encore assez fort pour faire marcher le reste ; mais cela viendra à l’aide de la grande machine du champ de mai.

Cet immense coup de filet embrasse la population entière de la France, et comprend ce que les masses et les conscriptions n’ont jamais compris. En 1793 la Convention n’osa prendre que sept années les hommes de dix-huit à vingt-cinq ans. Ils marcheront aujourd’hui de vingt à soixante. Réformés, non réformés ; mariés, non mariés ; remplacés, non-remplacés ; gardes d’honneur, volontaires, tout enfin se trouve enveloppé dans cette proscription générale. Buonaparte, fatigué de décimer le peuple françois, veut l’exterminer d’un seul coup. On espère, par la terreur des polices, obliger les citoyens à s’inscrire. Des comités de réforme ne sont établis que par une nouvelle dérision, comme les anciennes commissions de la liberté de la presse et de la liberté individuelle auprès du sénat. Heureusement, sire, des faits matériels et des influences morales contribueront à diminuer le danger de cette désastreuse conscription. Il ne reste que très-peu de fusils dans les arsenaux de la France : par suite de l’invasion de l’année dernière, plusieurs manufactures d’armes ont été démontées ou détruites. Des piques seroient susceptibles d’être forgées assez vite