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cher à votre ministère étoit bien plus établie pour eux que pour nous : elle forçoit le public à se taire sur le passé. Sous le roi, du moins, on ne parloit de certains hommes qu’avec le ton de l’impartialité, et encore uniquement pour repousser leurs imprudentes attaques.

Buonaparte a cherché un autre succès dans l’abolition de l’exercice, cette grande difficulté de l’impôt sur les boissons. D’abord, si les droits réunis étoient odieux, qui les avoit établis ? N’étoit-ce pas Buonaparte ? Il ne fait donc que changer son propre ouvrage ; ensuite cette abolition décrétée n’aura son effet qu’au premier du mois de juin de cette année. Buonaparte, qui compte sur sa fortune, espère bien qu’avant cette époque quelque événement viendra à son secours. Il ne faut pas lui demander de quel droit le chef d’un peuple libre se permet de toucher à l’impôt et d’indiquer un mode de perception autre que celui prescrit par la loi ; ce n’est pas une question pour lui : il sait, et cela lui suffit, que selon le besoin de sa politique il peut retrancher ou feindre de retrancher un impôt trop désagréable au peuple. S’il se trouve pressé par les événements, n’a-t-il pas la grande ressource de ne pas payer ses dettes ? Le trésor est toujours assez plein quand la violence y pourvoit, et que l’on paye non ce que l’on doit, mais ce que l’on veut. Pour sortir d’embarras, il a encore les séquestres, les confiscations, les exactions, les dons volontaires forcés.

Vous, sire, qui régniez par les lois, l’ordre et la justice, qui ne pouviez ni ne vouliez chercher des trésors dans les mesures arbitraires et les larmes de vos sujets ; vous qui mettiez votre bonheur à acquitter des dettes que vous n’aviez pas contractées, dettes d’autant moins obligatoires, qu’elles n’avoient été faites que pour vous fermer le chemin du trône ; vous, sire, vous n’avez employé, en montant sur ce trône, d’autres moyens de plaire à vos peuples que ceux qui naissoient naturellement de vos vertus. La banqueroute faite ou projetée ne vous a pas paru un système de finance digne de la France et de vous. Supprimer dans le moment un impôt même odieux vous auroit paru une libéralité criminelle ; mais je conviens que pour le maintenir il falloit tout le courage d’un roi légitime, dont les intentions paternelles sont connues et vénérées. Un usurpateur ne pouvoit prendre une résolution aussi noble, et préférer au présent cet avenir qu’il ne verra point.

Ce que je dis sur la ressource des futures spoliations n’est point, sire, une conjecture plus ou moins probable. Je ne me permets de parler à Votre Majesté que d’après des documents officiels. Les spoliations sont visiblement annoncées, la dépouille du citoyen est promise au soldat dans le rapport sur la Légion d’Honneur : il y est dit qu’on