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Au-dessus de ces lieutenants se trouvent placés, dans une hiérarchie de plus en plus favorable à la liberté, des commissaires extraordinaires, à la manière des représentants du peuple sous le règne de la Convention.

La police nous apprend qu’elle ne va plus servir qu’à répandre la philosophie ; qu’elle n’agira plus que d’après des principes de vertu ; qu’elle est la source des lumières et la base de tous les gouvernements libres.

Elle enseigne à ses respectables agents qu’il faut, selon les circonstances, creuser à de grandes profondeurs ou savoir seulement écouter et entendre ; c’est-à-dire qu’il faudra, selon le besoin, corrompre le serviteur, inviter le fils à trahir son père, ou seulement répéter ce qu’on a reçu sous le sceau du secret.

La chose religieuse est aussi soumise à la police ; et la conscience, qui jadis relevoit immédiatement de Dieu, obéira maintenant à un espion.

Par le pouvoir constitutionnel de Votre Majesté, il étoit loisible à vos ministres pendant l’année 1815 d’éloigner des tribunaux de justice les magistrats qui ne paroîtroient plus avoir la confiance publique. Huit ou dix seulement ont été écartés, et l’on en connoît trop la raison.

Quelle mesure arbitraire ! s’écrie le gouvernement actuel de la France ; et à l’instant même il déplace une foule de magistrats irréprochables dans leur conduite, éminents par leurs lumières et étrangers à tous mouvements politiques.

Il s’étoit même permis une chose plus violente, sur laquelle l’opinion l’a forcé de revenir. L’acte qui institue les notaires étant de pure forme n’a jamais été annulé par les gouvernements révolutionnaires qui se sont succédé en France ; et toutefois Buonaparte a voulu révoquer celui qui instituoit trois avoués et huit notaires, uniquement parce qu’ils avoient été installés sous le gouvernement royal.

Il n’a pas plus respecté les places administratives et militaires. Sur quatre-vingt-trois préfets, vingt-deux seulement ont été conservés, et ces vingt-deux restants ont presque tous été changés de préfecture ; quarante-trois colonels ont reçu leur destitution.

Cette liberté entière, qui sort de la police comme de sa source ; ce respect pour les lois, les places et les hommes, viennent évidemment de la liberté de la presse, car la censure est abolie et la direction de la librairie supprimée. Il est vrai que si la presse est libre, Vincennes est ouvert ; et, par mesure de sûreté, les journaux et la librairie sont restés provisoirement sous la main de M. le duc d’Otrante.

La censure généreuse que les ministres de Buonaparte osent repro-