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alors plus réel et plus touchant : c’étoit celui d’un père. Les bénédictions suivoient vos pas, et votre cœur est encore ému de ces derniers cris de vive le roi ! que vous avez entendus retentir à travers les gémissements et les sanglots dans les dernières chaumières de la France !

Chaque jour a vu depuis éclore une imposture. Il a fallu d’abord avancer quelques mensonges hardis pour décourager les bons et encourager les méchants. Ainsi on a publié qu’il n’y auroit point de guerre, que Buonaparte s’entendoit avec les alliés, que l’archiduchesse Marie-Louise arrivoit avec son fils. La fausseté de ces faits devoit bientôt se découvrir : mais on gagnoit toujours du temps. Dans ce gouvernement, le mensonge est organisé, et entre comme moyen d’administration dans les affaires. Il y a des mensonges pour un quart d’heure, pour une demi-journée, pour un jour, pour une semaine. Un mensonge sert pour arriver à un autre mensonge, et dans cette série d’impostures l’esprit le plus juste a souvent de la peine à saisir le point de vérité.

Des proclamations ont annoncé d’abord l’oubli de tout ce qui a été fait, dit et écrit sous le gouvernement royal. Les individus ont été déclarés libres, la nation libre, la presse libre ; on ne veut que la paix, l’indépendance et le bonheur du peuple. Tout le système impérial est changé. L’âge d’or va renaître : Buonaparte sera le Saturne de ce nouveau siècle d’innocence et de prospérité, et il ne dévorera plus ses enfants. Voyons si la pratique a déjà répondu à la théorie.

C’est au champ de mai que la nation doit être régénérée ; on y donnera des aigles aux légions ; on y couronnera (vraisemblablement par contumace) l’héritier de l’empire ; on y fera le dépouillement des votes pour ou contre l’Acte additionnel aux constitutions. J’aurai soin d’indiquer, vers la fin de ce rapport, quel est vraisemblablement le but réel de cette grande assemblée.

En attendant l’acceptation de l’Acte additionnel qui va rendre le peuple françois à l’indépendance, on commence à faire jouir la France du gouvernement le plus libéral : Buonaparte l’a partagée en sept grandes divisions de police ! Les sept lieutenants sont investis des mêmes pouvoirs qu’avoient autrefois ce qu’on appeloit les directeurs généraux. On sait encore aujourd’hui à Lyon, à Bordeaux, à Milan, à Florence, à Lisbonne, à Hambourg, à Amsterdam, ce que c’était que ces protecteurs de la liberté individuelle. Dans le nombre des sept personnes qui doivent rassurer les citoyens et les défendre du despotisme, quatre au moins ont eu ou auroient pu avoir la gloire, en 1793, d’être nommées à de semblables emplois.