Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, dont vous apercevez en quelque sorte la frontière, et dont vous voulez connoître les maux pour y apporter le remède, vous m’ordonnez de vous présenter le tableau de l’état politique et des dispositions morales de la nation. Je vais, sire, soumettre à vos lumières une suite de faits et de réflexions. Je parlerai sans détours : Votre Majesté, qui sait tout voir, saura tout entendre.

§ Ier.
Actes et décrets pour l’intérieur.

Buonaparte arrive à Paris le 20 mars au soir ; le ravisseur de nos libertés se glisse dans le palais de nos rois à l’heure des ténèbres ; le triomphateur, porté sur les bras de ses peuples, envahit le château des Tuileries par une issue secrète, tant il compte sur l’amour de ses sujets ! La frayeur et la superstition accompagnent ses pas dans ces salles, une seconde fois abandonnées, qui avoient revu la fille de Louis XVI.

L’histoire remarquera peut-être que Buonaparte est rentré cette année dans Paris à peu près à la même époque où les alliés y pénétrèrent l’année dernière. Son orgueil humilié le ramène dans cette ville, qui ne fut jamais prise sous nos rois, et que son ambition punie a livrée à la conquête ; il vient rétablir sa police là où un général russe exerça la sienne il n’y a pas encore un an, grâce au vaste génie, aux merveilleuses combinaisons de ce vrai conservateur de l’honneur françois ! Vous parûtes, sire, et les étrangers se retirèrent : Buonaparte revient, et les étrangers vont rentrer dans notre malheureuse patrie. Sous votre règne, les morts retrouvèrent leurs tombeaux, les enfants furent rendus à leurs familles ; sous le sien, on va voir de nouveau les fils arrachés à leurs mères, les os des François dispersés dans les champs : vous emportez toutes les joies, il rapporte toutes les douleurs.

À peine Buonaparte a-t-il repris le pouvoir, que le règne du mensonge commence. En lisant les journaux du 20 et ceux du 21 du mois de mars, on croit lire l’histoire de deux peuples. Dans les premiers, trente mille gardes nationales, trois mille volontaires, dix mille étudiants de toutes espèces poussoient des cris de rage contre le tyran : dans les seconds, ils bénissent sa présence ! L’enthousiasme éclatoit, dit-on, sur son passage, lorsqu’on sait qu’il n’a été reçu que par le silence de la consternation et de la terreur. Sire, votre triomphe étoit