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lèvres, ils sont allés, le lis sur la poitrine, jurer pour ainsi dire le parjure à celui qui se déclara si souvent lui-même traître, félon et déloyal.

Au reste, sire, le dernier triomphe qui couronne et qui va terminer la carrière de Buonaparte n’a rien de merveilleux. Ce n’est point une révolution véritable ; c’est une invasion passagère. Il n’y a point de changement réel en France ; les opinions n’y sont point altérées. Ce n’est point le résultat inévitable d’un long enchaînement de causes et d’effets. Le roi s’est retiré un moment ; la monarchie est restée tout entière. La nation, par ses larmes et par le témoignage de ses regrets, a montré qu’elle se séparoit de la puissance armée qui lui imposoit des lois.

Ces bouleversements subits sont fréquents chez tous les peuples qui ont l’affreux malheur de tomber sous le despotisme militaire. L’histoire du Bas-Empire, celle de l’Empire Ottoman, celle de l’Égypte moderne et des régences barbaresques en sont remplies. Tous les jours au Caire, à Alger, à Tunis, un bey proscrit reparoît sur la frontière du désert ; quelques mameloucks se joignent à lui, le proclament leur chef et leur maître. Pour réussir dans son entreprise, il n’a besoin ni d’un courage extraordinaire, ni de combinaisons savantes, ni de talents supérieurs : il peut être le plus commun des hommes, pourvu qu’il en soit le plus méchant. Animées par l’espoir du pillage, quelques autres bandes de la milice se déclarent : le peuple consterné tremble, regarde, pleure et se tait : une poignée de soldats armés en impose à la foule sans armes. Le despote s’avance au bruit des chaînes, entre dans la capitale de son empire, triomphe et meurt.

Sire, il y a longtemps que le ciel vous éprouve ; il veut faire de vous un monarque accompli. Vos royales vertus, s’il y manquoit encore quelque chose, reçoivent aujourd’hui, sous la main de Dieu, leur dernière perfection. Dans tous les pays où vous avez porté la double majesté du trône et du malheur, oubliant vos propres infortunes, vous n’avez songé qu’à celles de votre peuple. Les yeux attachés sur cette

    publiques ou secrètes, à vingt heures et quelquefois à seize heures de date ; qui étoient au centre des armées et de la diplomatie européenne, et conséquemment au centre de toutes les intelligences et de tous les rapports ; qui voyoient à chaque moment arriver auprès du roi des François de la capitale et des provinces ; il est assez bizarre, dis-je, de supposer que la France étoit devenue pour ces personnes un pays totalement inconnu. Aussi, si l’on veut bien lire ce rapport avec quelque attention, on verra que nous n’étions pas trop mal instruit à Gand de ce qui se passoit à Paris ; que nous avions bien prévu le prompt dénoûment de cette courte tragédie, et que nous avions peut-être mieux jugé le jeu des factions et l’état des partis que ceux qui étoient placés plus près du théâtre.