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le caractère françois a gagné en force et en gravité. Il est certain que nous sommes moins frivoles, plus naturels, plus simples ; que chacun est plus soi, moins ressemblant à son voisin. Nos jeunes gens, nourris dans les camps ou dans la solitude, ont quelque chose de mâle ou d’original qu’ils n’avaient point autrefois. La religion, dans ceux qui la pratiquent, n’est plus une affaire d’habitude, mais le résultat d’une conviction forte ; la morale, quand elle a survécu dans les cœurs, n’est plus le fruit d’une instruction domestique, mais l’enseignement d’une raison éclairée. Les plus grands intérêts ont occupé les esprits ; le monde entier a passé devant nous. Autre chose est de défendre sa vie, de voir tomber et s’élever les trônes, ou d’avoir pour unique entretien une intrigue de cour, une promenade au bois de Boulogne, une nouvelle littéraire. Nous ne voulions peut-être pas nous l’avouer, mais au fond ne sentons-nous pas que les François sont plus hommes qu’ils ne l’étoient il y a trente ou quarante ans ? Sous d’autres rapports, pourquoi se dissimuler que les sciences exactes, que l’agriculture et les manufactures ont fait d’immenses progrès ? Ne méconnoissons pas les changements qui peuvent être à notre avantage ; nous les avons payés assez cher.

Cessons donc de nous calomnier, de dire que nous n’entendons rien à la liberté : nous entendons tout, nous sommes propres à tout, nous comprenons tout. En lui témoignant de la considération et de la confiance, cette nation s’élèvera à tous les genres de mérite. N’a-t-elle pas montré ce qu’elle peut être dans les moments d’épreuve ? Soyons fiers d’être François, d’être François libres sous un monarque sorti de notre sang. Donnons maintenant l’exemple de l’ordre et de la justice, comme nous avons donné celui de la gloire ; estimons les autres nations sans cesser de nous estimer. Les révolutions et les malheurs ont des résultats heureux, lorsqu’on sait profiter des leçons de l’infortune : les fureurs de la Ligue ont sauvé la religion ; nos dernières fureurs nous laisseront un état politique digne des sacrifices que nous avons faits.

Que tous les bons esprits se réunissent pour prêcher une doctrine salutaire, pour créer un centre d’opinions d’où partiront tous les mouvements. Les Chambres doivent s’attacher étroitement au roi, afin que le roi soit plus libre d’exécuter les projets qu’il médite pour le bonheur de son peuple. Loyauté dans les ministres, bonne foi de tous les côtés, voilà notre salut. Respect et vénération pour notre souverain, liberté de nos institutions, honneur de notre armée, amour de notre patrie : voilà les sentiments que nous devons professer. Hors de là, nous nous perdrons dans des chimères, dans de vains regrets, dans des humeurs chagrines, des récriminations pénibles ; et après bien