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faites venir avant les chaperons fourrés, c’est à savoir prélats et avocats qui mangent les gens. À telles gens doit-on faire ouvrir les coffres, et non pas à pauvres gens qui ne font que languir ? Je vois aujourd’hui advenir le contraire : car celui qui n’a qu’un peu, on lui veut tollir ; et celui qui a du pain, on lui en offre. »

Peut-être direz-vous que, dépouillés de certains hommages qu’on vous rendoit et qui vous distinguoient, vous avez perdu le caractère extérieur de la noblesse. Mais, à différentes époques, et dans diverses assemblées des états généraux, les gentilshommes avoient renoncé à d’importantes prérogatives. Ils avoient consenti à la répartition égale des impôts. Si donc les derniers états généraux se fussent séparés sans que la révolution eût eu lieu, la noblesse, privée de ses privilèges par l’abandon volontaire qu’elle en avoit fait, se fût-elle pour cela regardée comme anéantie ? Non sans doute : appliquez ce raisonnement à l’état actuel. Toutefois il nous paroîtroit nécessaire qu’à l’avenir on accordât à la noblesse, comme aux chevaliers romains, quelques-uns de ces honneurs qui annoncent son rang aux yeux du peuple ; sans quoi les degrés constitutionnels de la monarchie ne seroient point marqués, et nous aurions l’air d’être soumis au niveau du despotisme oriental. Il faut surtout que les pairs jouissent des plus grands privilèges, qu’ils aient des places désignées dans les fêtes publiques, qu’on leur rende des honneurs dans les provinces ; qu’en un mot, on reconnoisse tout de suite en eux les premiers hommes de l’État.

Au reste, comme nous ne voulons rien dire qui ne soit fondé en raison et de la plus stricte vérité, nous ne prétendons pas que tous les avantages dont nous avons parlé dans ce chapitre puissent être recueillis immédiatement. La carrière militaire, par exemple, sera quelque temps fermée, à cause du grand nombre d’officiers demeurés sans emploi, et qui doivent être préférés. Mais quel qu’eût été le gouvernement établi par la restauration, cet inconvénient auroit toujours existé. La renaissance de l’ancienne monarchie n’auroit pu ni diminuer le nombre ni effacer les droits de tant de François qui ont versé leur sang pour la patrie. Ainsi la Charte n’entre pour rien dans cet embarras du moment. D’ailleurs, comme nous l’avons fait observer en parlant de l’émigration, un très-grand nombre de gentilshommes sont déjà placés dans l’armée. Enfin, ce n’est pas toujours pour soi qu’on bâtit dans cette vie. C’est aux peuples que sont permis le long espoir et les vastes pensées.

Quant à la haute noblesse, dont nous n’avons point parlé à propos de la Charte, elle y trouve si évidemment son avantage, qu’il seroit superflu de s’attacher à le montrer. Comme c’étoit elle surtout qui