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plaignoient alors sont les ancêtres des Pitt, des Burke, des Nelson, des Wellington ; leur roi est devenu un des plus puissants rois de la terre ; leur pays s’est élevé au plus haut degré de prospérité sous une constitution qui répugnoit d’abord à leur raison, à leurs mœurs, à leurs souvenirs.

Qui pourroit donc s’opposer, parmi nous, à la généreuse alliance de la liberté et de l’honneur ? Ces deux principes ne sont-ils pas, comme nous l’avons prouvé, ceux qui constituent essentiellement la noblesse ? Pourquoi un gentilhomme n’obtiendroit-il pas, dans l’ordre nouveau de la monarchie, toute la considération dont il jouissoit dans l’ordre ancien ? La constitution, loin de lui rien ravir, lui rend cette importance aristocratique qu’il avoit perdue, et dont les ministres du pouvoir, tantôt par ruse, tantôt par force, avoient mis tous leurs soins à le dépouiller. Excepté dans les cas si rares de l’assemblée des états généraux, quelle part la noblesse avoit-elle aux opérations du gouvernement ? N’étoit-ce pas le parlement de Paris qui exerçoit les droits politiques ! Il étoit pourtant assez dur pour l’antique corps de la noblesse de n’influer en rien dans la chose publique, de voir l’État marcher à sa ruine, sans être même appelé à donner son opinion[1]. Quelques droits féodaux tombés en désuétude valent-ils les droits politiques qui sont rendus aux gentilshommes ? Ces droits conservés par la chambre des pairs, tandis qu’ils peuvent (eux gentilshommes) entrer dans la chambre des députés, sont des biens qui compensent pour la noblesse les petits avantages de l’ancien régime, nous voulons dire de l’ancien régime tel qu’il étoit, tout affoibli et tout dénaturé à l’époque de la révolution. Rien n’empêche, après tout, un gentilhomme d’être citoyen comme Scipion, et chevalier comme Bayard : l’esclavage n’est point le caractère de la noblesse. Dans tous les temps, en mourant avec joie pour ses princes, elle a défendu respectueusement, mais avec fermeté, ses droits contre les prérogatives de la couronne. Elle redevient aujourd’hui une barrière entre le peuple et le trône, comme elle l’étoit autrefois. Lorsque Charles Ier leva l’étendard de la guerre civile, la noblesse angloise courut se ranger autour de son roi ; mais avant de combattre pour lui elle lui déclara qu’en le défendant contre les rebelles, elle ne prétendoit point servir à opprimer la liberté des peuples ; et que si l’on vouloit employer ses armées à un pareil usage, elle seroit obligée de se retirer. Ce généreux esprit anime également la noblesse françoise : nos chevaliers sont les défenseurs du pauvre et de l’orphelin. « Eh Dieu ! disoit Bertrand Du Guesclin à Charles V,

  1. La noblesse n’exerçoit de droits politiques que dans les pays d’états.