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ment rapide le portera aux premiers rangs. À moins d’une étrange faveur ou d’une action extraordinaire, un cadet de Gascogne ou de Bretagne seroit-il jamais devenu sous l’ancien régime colonel, général, maréchal de France ? Si, réunissant toute sa petite fortune, il faisoit un effort pour venir solliciter quelque emploi à Paris, pouvoit-il aller à la cour ? Pour jouir de la vue de ce roi qu’il défendoit avec son épée, ne lui falloit-il pas être présenté, avoir monté dans les carrosses ? Quel rôle jouoit-il dans les antichambres des ministres ? Qu’étoit-ce, en un mot, aux yeux d’un monde ingrat et frivole qu’un pauvre gentilhomme de province ? Souvent d’une noblesse plus ancienne que celle des courtisans qui occupoient sa place au Louvre, il ne recevoit de ces enfants de la faveur que des refus et des mépris. Ce brave représentant de l’honneur et de la force de la monarchie n’étoit qu’un objet de ridicule par sa simplicité, son habit et son langage : on oublioit que Henri IV parloit gascon, et que son pourpoint étoit percé au coude.

Le temps de ces dédains est passé : dans les provinces, vous gentilshommes, vous jouirez de la considération attachée à votre famille ; à Paris, vous entrerez partout, en entrant dans le palais de vos rois. Une carrière immense et nouvelle s’ouvre pour vous auprès de cette ancienne carrière militaire qui ne vous est point fermée. Vous pouvez être élus membres de la chambre des députés : redoutables[1] à ces ministres qui vous repoussoient autrefois, vous serez courtisés par eux ; devenus pairs du royaume, appelés peut-être au timon de l’État, nouveaux chefs de votre antique famille, et patrons de votre province, ce sort éclatant sera l’ouvrage de vos propres mains. Qu’est-ce que l’ancien gouvernement pouvoit vous offrir de comparable ? Nous ne vous entretenons ici que de vos intérêts matériels ; nous ne vous parlons pas de cette gloire, partage certain de celui qui consacre ses jours à défendre le roi, à protéger le peuple, à éclairer la patrie, de celui qui soutient, avec les autels de la religion, les droits de la raison universelle, et qui combat pour les principes de cette liberté sage sans laquelle, après tout, il n’y a rien de digne et de noble dans la vie humaine.

Burnet, réfléchissant sur la révolution qui a donné à l’Angleterre cette constitution tant admirée, observe que de son temps les gentilshommes anglois avoient de la peine à s’y soumettre, trouvant mauvais que le roi ne fût pas assez roi[2]. Eh bien, ces gentilshommes qui se

  1. J’aurois l’air de prophétiser après l’événement, si heureusement les Réflexions politiques n’avoient été publiées au mois de décembre 1814.
  2. Réflex. sur les Mém. hist. de la Grande-Bretagne, p. 54.