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amènent, et pour être l’homme de son pays il faut être l’homme de son temps. Hé ! qu’est-ce qu’un homme de son temps ? C’est un homme qui, mettant à l’écart ses propres opinions, préfère à tout le bonheur de sa patrie ; un homme qui n’adopte aucun système, n’écoute aucun préjugé, ne cherche point l’impossible, et tâche de tirer le meilleur parti des éléments qu’il trouve sous sa main ; un homme qui, sans s’irriter contre l’espèce humaine, pense qu’il faut beaucoup donner aux circonstances, et que dans la société il y a encore plus de foiblesses que de crimes : enfin, c’est un homme éminemment raisonnable, éclairé par l’esprit, modéré par le caractère, qui croit, comme Solon, que dans les temps de corruption et de lumière il ne faut pas vouloir plier les mœurs au gouvernement, mais former le gouvernement pour les mœurs.

Notre Charte constitutionnelle a précisément ce dernier caractère ; il nous reste à montrer qu’elle est également favorable aux intérêts des sujets et du monarque.

Nous dirons à la noblesse[1] : De quoi pouvez-vous vous plaindre ? La Charte vous garantit tout ce qu’il y avoit d’essentiel dans votre ancienne existence. Si elle n’a pu faire que vous jouissiez de quelques droits depuis longtemps détruits dans l’opinion avant de l’être par les événements, elle vous assure d’autres avantages. Vous occupiez les places d’officiers dans l’armée : eh bien, vous pouvez encore les remplir ; seulement vous les partagerez avec les François qui ont reçu une éducation honorable. On ne vous fait en cela aucune injustice : il en étoit ainsi autrefois dans la monarchie. Aux yeux de nos rois, le premier titre d’un guerrier étoit la valeur. « Pour être faits chevaliers, dit du Tillet, ils ont toujours choisi le chevalier le plus renommé en prouesse et chevalerie, et non celui qui est du plus haut lignage, n’ayant égard qu’à la seule vaillance[2]. »

Autrefois, quels étoient l’espoir et l’ambition d’un gentilhomme ? De devenir capitaine après quarante années de service, de se retirer sur ses vieux jours avec la croix de Saint-Louis et une pension de 600 francs[3]. Aujourd’hui, s’il suit la carrière militaire, un avance-

  1. Tout ce qui suit et tout ce qui précède mécontenta d’abord les hommes que je voulois consoler : aujourd’hui ces mêmes hommes me rendent justice ; ils ont pris part au gouvernement représentatif, et ils en ont connu les ressources.
  2. Recueil des Lois de France.
  3. On a dit que c’étoit là précisément ce qu’il y avoit de beau dans l’ancien ordre de choses : c’est confondre les choses, et mieux sentir que bien raisonner. Ne s’aperçoit-on pas que plus le gentilhomme se montre ici admirable, moins le gouvernement paroît généreux, et que l’éloge de l’un est la critique de l’autre ?