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chie ont été dispersés par le temps et par nos malheurs : l’esprit du siècle a pénétré de toutes parts ; il est entré dans les têtes et jusque dans les cœurs de ceux qui s’en croient le moins entachés.

Il y a plus : si ceux qui pensent, sans y avoir bien réfléchi, qu’il est possible de rétablir l’ancien gouvernement, obtenoient la permission de tenter cet ouvrage, nous les verrions bientôt, perdus dans un chaos inextricable, renoncer à leur entreprise. D’abord, pas un d’entre eux ne désireroit remettre les choses absolument telles qu’elles étoient : autant de provinces, autant d’avis, de prétentions, de systèmes ; on voudroit détruire ceci, conserver cela ; chacun iroit, à main armée, demander à son voisin compte de sa propriété.

Se représente-t-on ce que deviendroit la France le jour où l’on remettroit en vigueur les ordonnances relatives aux preuves de noblesse exigées des officiers de l’armée ? Supposons encore que le roi régnant seul, et ayant toujours à payer 1700 millions de dettes, sans compter les dépenses courantes, eût dit à son ministre des finances de lui présenter un plan ; que le ministre eût formé son plan tel que nous l’avons vu ; que, sans pouvoir expliquer ses raisons, sans pouvoir entrer dans la discussion publique de ses moyens, le ministre, muni d’un arrêt du conseil, eût voulu mettre ce plan à exécution : nous demandons encore ce que seroit devenue la France. Le parlement de Paris, forcé à l’enregistrement, n’auroit-il fait aucune remontrance ? Les parlements des provinces n’auroient-ils point élevé la voix ? Les pays d’états n’auroient-ils point réclamé ? La noblesse et le clergé n’auroient-ils point fait valoir leurs privilèges ? Les peuples, toujours disposés à refuser l’impôt, émus par toutes ces oppositions, ne se seroient-ils point révoltés ? Une pareille résistance au moment où un levain de discorde fermentoit encore parmi nous nous auroit, n’en doutons point, précipités dans une nouvelle révolution. Eh bien, grâce à la Charte, le budget discuté dans les deux chambres a semblé nécessaire par le fait, ingénieux dans ses ressources : il a passé paisiblement ; et le peuple, satisfait d’avoir été consulté dans ses représentants, s’est soumis à des impôts qui jadis l’auroient soulevé d’un bout à l’autre de la France.

Mais il y a dans le nouvel ordre de choses des personnes qui vous déplaisent, qui vous semblent odieuses. Eh bien, elles passeront, la France restera. Les esprits, après une révolution, sont lents à se calmer. On se rappelle d’avoir vu tel homme dans telle circonstance : on ne peut se persuader que cet homme soit devenu un bon citoyen, qu’il puisse être employé utilement. C’est un mal inévitable ; mais ce mal ne doit pas faire renoncer au bien de la patrie. En 1605 Henri IV par-