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tandis qu’elle entretenoit dans la classe la plus nombreuse la fidélité, la probité, le respect des lois et des mœurs. C’est ce qui a fait, n’en doutons point, la longue existence de l’ancienne monarchie.

Malheureusement ce bel édifice est écroulé. Il ne s’agit pas de savoir s’il étoit plus solide et plus parfait que celui qu’on vient d’élever ; si l’ancien gouvernement, fondé sur la religion comme les gouvernements antiques, produit lentement par nos mœurs, notre caractère, notre sol, notre climat, éprouvé par les siècles, n’étoit pas plus en harmonie avec le génie de la nation, plus propre à faire naître de grands hommes et des vertus que le gouvernement qui le remplace aujourd’hui. Il n’est pas question d’examiner encore si ce qu’on appelle le progrès des lumières est un progrès réel ou une marche rétrograde de l’esprit humain, un retour vers la barbarie, une véritable corruption de la religion, de la politique et du goût. Tout cela peut se soutenir : ceux qui prendroient en main cette cause ne manqueroient pas de raisons puissantes et surtout de sentiments pathétiques pour justifier leur opinion. Mais il faut dans la vie partir du point où l’on est arrivé. Un fait est un fait. Que le gouvernement détruit fût excellent ou mauvais, il est détruit ; que l’on ait avancé, que l’on ait reculé, il est certain que les hommes ne sont plus dans la place où ils se trouvoient il y a cent ans, bien moins encore où ils étoient il y a trois siècles. Il faut les prendre tels qu’ils sont, et ne pas toujours les voir tels qu’ils ne sont pas et tels qu’ils ne peuvent plus être : un enfant n’est pas un homme fait, un homme fait n’est pas un vieillard.

Quand nous voudrions tous que les choses fussent arrangées autrement qu’elles le sont, elles ne pourroient l’être. Déplorons à jamais la chute de l’ancien gouvernement, de cet admirable système dont la durée seule fait l’éloge ; mais enfin notre admiration, nos pleurs, nos regrets ne nous rendront pas Du Guesclin, La Hire et Dunois. La vieille monarchie ne vit plus pour nous que dans l’histoire, comme l’oriflamme que l’on voyoit encore toute poudreuse dans le trésor de Saint-Denis sous Henri IV : le brave Crillon pouvoit toucher avec attendrissement et respect ce témoin de notre ancienne valeur ; mais il servoit sous la cornette blanche triomphante aux plaines d’Ivry, et il ne demandoit point qu’on allât prendre au milieu des tombeaux l’étendard des champs de Bouvines.

Nous avons montré ailleurs[1] que les éléments de l’ancienne monar-

  1. De l’État de la France au mois de mars et au mois d’octobre de la même année. (Voyez p. 46.)