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ments, les corps politiques, attirés, repoussés, balancés, combattus, produisent des effets que toute la sagacité humaine ne peut calculer. Ce vague, cette incertitude, ces grandes choses qui ne produisent rien, ces petites causes d’où sortent tant de grands résultats, ces illusions, cette puissance de l’opinion si souvent trompeuse, se retrouve dans tout ce qui touche aux gouvernements, dans tout ce qui prend place dans l’histoire. Par exemple, n’est-on pas toujours tenté de supposer des talents supérieurs à l’homme qui joue un rôle extraordinaire ? Souvent cet homme est moins que rien ; la gloire a ses méprises comme la vertu. Il y a des temps surtout où la fortune célèbre ses fêtes ; espèces de saturnales où l’esclave s’assied sur le trône du roi. Quand on vient à regarder de près les hommes qui conduisent le monde dans ces temps de délire, on demeure plus étonné de leur néant qu’on n’étoit surpris de leur existence, on est frappé du peu de talent qu’il faut pour décider du sort des empires, et l’on reconnoît qu’il y a dans les affaites humaines quelque chose de fatal et de secret qu’on ne sauroit expliquer.

CHAPITRE XIX.
S’IL SEROIT POSSIBLE DE RÉTABLIR L’ANCIENNE FORME DE GOUVERNEMENT.

Enfin, quand les objections contre le nouvel ordre de choses seroient aussi fortes qu’elles nous semblent peu solides, voici qui répond à tout : on ne peut pas faire que ce qui est ne soit pas, et que ce qui n’est pas existe. Le roi nous a donné une charte : notre devoir est donc de la soutenir et de la respecter. Il y a d’ailleurs aujourd’hui une opinion générale qui domine toutes les opinions particulières : c’est l’opinion européenne, opinion qui oblige un peuple de suivre les autres peuples. Quand de toutes parts tout s’avance vers un but commun, il faut, bon gré, mal gré, se laisser aller au cours du temps.

Avant la découverte de l’imprimerie, lorsque l’Europe étoit sans chemins, sans postes, presque sans communications ; lorsqu’il étoit difficile et dangereux d’aller de Paris à Orléans, parce que le seigneur de Montlhéry, un Montmorency, faisoit la guerre au roi de France, ce qui se passoit dans un pays pouvoit rester longtemps ignoré dans un autre. Mais aujourd’hui qu’une nouvelle arrive en quinze jours de Pétersbourg à Paris ; que l’on reçoit en quelques minutes aux Tuileries une dépêche de Strasbourg et même de Milan ; que toutes les nations