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tiques, et qu’on auroit l’œil fixé sur les astres, on pourroit tomber dans un abîme. Pour prévenir ce malheur, il faut que le trône, placé comme un bouclier devant nous, nous garantisse de tous les coups qu’on voudroit nous porter : il faut qu’il soit en avant-garde de la nation ; qu’environné d’éclat et de dignité, il en impose par sa puissance et par sa splendeur. L’autorité du roi doit être dégagée de beaucoup d’entraves pour agir avec vigueur et rapidité ; elle doit avoir, dans certains cas, quelque chose de la dictature à Rome ; et c’est surtout dans ce moment que nous devons tendre à augmenter le pouvoir monarchique, à l’investir de toute la force nécessaire au salut de l’État. Notre monarchie, toute libre au dedans, doit rester toute militaire au dehors. En Angleterre, l’armée est presque une affaire de luxe ; en France, c’est une chose de première nécessité. C’est par cette raison que le militaire et la noblesse auront toujours dans notre France une tout autre considération que celle dont ils jouissent en Angleterre. Chez nos voisins, un riche brasseur de bière, un manufacturier opulent, peuvent paroître à la patrie aussi dignes des places et des honneurs qu’un capitaine, parce qu’en effet ils sont autant, et plus que lui, nécessaires à la prospérité commune ; mais en France le soldat qui nous met à l’abri de la conquête, qui nous garantit du joug étranger, est un homme qui non-seulement exerce la profession la plus noble, mais qui suit encore la carrière la plus utile à l’État. De là doivent naître des différences essentielles dans l’opinion des deux pays, et conséquemment des différences considérables dans les institutions politiques. L’air bourgeois ne convient point à notre liberté ; et les François ne la suivront qu’autant qu’elle saura cacher son bonnet sous un casque.

Mais ceci nous ramène à la seconde partie de l’objection. Si vous donnez, dit-on, au roi une pareille force, il détruira la liberté et opprimera les deux chambres.

Ce seroit sans doute un grand malheur si notre nouveau gouvernement plaçoit continuellement la France entre la servitude et la conquête, mais il n’en est pas ainsi. Le roi peut être absolu pour les affaires du dehors, sans être oppresseur au dedans. L’opinion publique vient encore ici à notre secours. Dans l’état actuel des choses, on ne pourroit faire impunément violence aux députés : à l’instant l’impôt seroit suspendu ; il faudroit, pour le lever, autant de régiments que de villages, autant d’armées que de provinces. Nous n’attribuons rien de trop ici à l’opinion. Elle est si puissante que Montesquieu n’a pas craint d’en faire le seul principe de la monarchie : la liberté est un principe, un fait ; mais l’honneur n’est que la plus belle des opinions.