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les deux premiers ordres de la monarchie qui, dans toute leur puissance, luttoient pour leurs privilèges. La cause fut plaidée devant Philippe : Pierre de Cugnières, chevalier, personnage vénérable, tenant à la fois à la robe et à l’épée, pour mieux convenir aux deux hautes parties contendantes, portoit la parole en qualité d’avocat général et de conseiller du roi. Cette première réclamation du droit civil contre le droit canonique produisit dans la suite l’appel comme d’abus, sauvegarde de la justice : dans le temps des bonnes mœurs, tout fait naître les bonnes lois. On admira dans cette grande affaire la piété et la justice du roi, la respectueuse hardiesse de l’orateur de la partie civile et la dignité du clergé. Ce fut un beau spectacle que celui de ces prélats et de ces chevaliers jurant sur leurs croix et sur leurs épées de s’en rapporter à l’intégrité du roi, plaidant la cause de la religion et de la noblesse devant un monarque fils aîné de l’Église et le premier comme le plus ancien gentilhomme de son royaume.

Quatre ou cinq siècles plus haut, nous trouvons ces mêmes François délibérant aux assemblées de Mars et de Mai ; et, pour que nous n’en puissions douter, le temps nous a transmis leurs décisions dans le recueil des Capitulaires. Plus haut encore, nous les verrons fixant par les lois gombette, allemande, ripuaire et salique, le tarif des blessures. Leur terrible justice consistoit alors à imposer leur épée : ils parloient éloquemment sur ce droit public de leur façon. Ils discutoient sur la longueur, la largeur et la profondeur de la plaie : s’ils avoient fait tomber une partie du crâne d’un homme, ils consentoient à payer quelques sous d’or ; plus si cet homme étoit Franc, moins s’il étoit Romain ou Gaulois. Mais il falloit que l’os abattu en valût la peine, et que lancé à travers un espace de douze pas, il fît résonner un bouclier. Enfin, dans les forêts de la Germanie, nous apercevons nos pères délibérant autour d’une épée nue, plantée au milieu du Mallus, ou décidant de la paix ou de la guerre, la coupe à la main : « alors que le cœur, dit Tacite, ne peut feindre, et qu’il est disposé aux entreprises généreuses ».

Pourquoi donc le peuple, qui a toujours parlé et délibéré en public dans les temps de sa barbarie, comme à l’époque de sa civilisation, qui a produit des ministres et des magistrats comme Suger, Nogaret, Pierre de Cugnières, Sully, L’Hospital, de Thou, Mathieu Molé, Lamoignon, d’Aguesseau ; des publicistes comme Bodin et Montesquieu ; des orateurs comme Massillon et Bossuet, n’entendroit-il rien aux lois et à l’éloquence ? Enfin, n’avons-nous pas déjà vingt-cinq années d’expérience ? Et n’est-ce rien, pour un peuple comme celui-ci, qu’un quart de siècle ? Quelques-uns de nos ministres actuels ont paru à la tribune