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existence ; ses guerres de France, soutenues par des François, furent heureuses. Rassurée contre les dangers du dehors, elle put s’occuper au dedans de son administration politique. Les querelles de ses rois affoiblirent la puissance monarchique et fortifièrent la partie aristocratique du gouvernement. La noblesse demeura longtemps souveraine : ce ne fut que sous le règne de Henri VII que les comtés, jusque alors héréditaires, se changèrent en titre de dignité. L’autorité militaire des gentilshommes ne diminua presque point, parce qu’on ne fut point obligé d’avoir de bonne heure, comme en France, des troupes disciplinées. Le génie d’Alfred, perpétué dans l’institution des jurés, avoit fait entrer par l’ordre judiciaire les idées démocratiques dans le principe de l’État. Le gouvernement féodal, inconnu des Saxons, introduit en Angleterre par la conquête des Normands, n’y jeta jamais de profondes racines. Plus tard, Édouard III renonça à la langue françoise, ordonna que les actes publics fussent écrits en anglois, et fit revivre ainsi une partie de l’ancien esprit des Germains.

Le parlement (autrement les états généraux) conserva pour toutes ces causes son autorité primitive : souvent assemblé, bientôt il ne fut plus possible au monarque de marcher sans lui. L’orgueil des grands barons anglois fit que le conseil du roi, ou la chambre des pairs, des barons, des lords (ce qui est la même chose sous différents noms), ne se mêla point aux chevaliers ou simples gentilshommes dans les assemblées de la nation. Les communes, appelées par Leicester, sous Henri VIII, à ces assemblées, se réunirent aux chevaliers, après en avoir été séparées quelque temps. Ainsi se formèrent dans le parlement d’Angleterre deux chambres distinctes, tandis qu’en France l’égalité des gentilshommes, pauvres ou riches, ne permit point à la noblesse de se diviser en deux corps, et nos états généraux, délibérant en commun bien qu’ils votassent par ordre, se trouvèrent avoir manqué l’établissement de la balance de leurs pouvoirs.

Enfin la révolution religieuse produite par la violence de Henri VIII diminua l’influence de l’ordre du clergé dans la chambre des lords. Le pouvoir aristocratique, affoibli à son tour par cet événement, vit par ce même événement s’augmenter le pouvoir démocratique dans la chambre des communes. À peu près égales en force, les trois puissances de la monarchie primitive s’attaquèrent, et en vinrent à une lutte sanglante, sous les règnes malheureux des Stuarts : aucune des trois n’étant parvenue à opprimer les deux autres, la constitution des Anglois sortit de ce terrible et dernier combat.

Ainsi, nous avons eu autrefois le môme gouvernement que l’Angleterre ; et nous conservons en nous, comme elle les avoit en