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Des autorités imposantes ne prouveroient pas que des peuples doivent renverser leur gouvernement, lorsqu’il est établi, pour en prendre un plus parfait ; mais quand ces peuples ont changé de constitution au milieu d’une révolution violente, si la nouvelle constitution se trouve être dans les formes regardées comme les plus belles, par un Lycurgue, un Aristote, un Platon, un Polybe, un Tacite, cela doit donner de la confiance : on peut croire qu’on ne s’est pas tout à fait trompé.

Montesquieu, après avoir fait un éloge pompeux du gouvernement anglois, prétend qu’on en découvre l’origine chez les Germains peints par Tacite[1], et que ce beau système a été trouvé dans les bois.

S’il en est ainsi, en l’adoptant aujourd’hui, nous ne ferions nous-mêmes, comme les Anglois, que reprendre le gouvernement de nos pères ; mais soit qu’il vienne des Francs, nos aïeux, soit qu’il ait été produit par la religion chrétienne, soit qu’il découle de ces deux sources, il est certain qu’il est conforme à nos mœurs actuelles, qu’il ne les contrarie point, et qu’il n’est point parmi nous une production étrangère.

Dans le moyen âge, toute l’Europe, excepté peut-être l’Italie et une partie de l’Allemagne, eut à peu près la même constitution : les cortès en Espagne, les états généraux en France, les parlements en Angleterre, étoient fondés sur le système représentatif. L’Europe, marchant d’un pas égal vers la civilisation, seroit arrivée pour tous les peuples à un résultat semblable, si des causes locales et des événements particuliers n’avoient dérangé l’uniformité du mouvement.

La France eut à repousser des invasions, sa noblesse périt presque tout entière aux champs de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. Des armées régulières, établies de bonne heure par nos rois, achevèrent de rendre les gentilshommes inutiles, sinon comme chefs, du moins comme soldats. Les fiefs, par suite du renversement des fortunes, commencèrent à tomber dans les mains des roturiers. La partie aristocratique de la constitution perdant ses forces, la partie monarchique accrut les siennes. Les communes, vexées par les bizarreries de la féodalité, cherchèrent à se mettre à l’abri sous l’autorité royale. L’invariable succession de nos monarques affermissoit chaque jour les racines du trône. Une fois l’équilibre rompu, le gouvernement représentatif cessa de suivre sa direction naturelle. Au lieu de se fixer et de se régulariser, comme en Angleterre, il se désunit, et laissa prédominer la couronne. Les états généraux, rarement convoqués, et tou-

  1. Esprit des Lois, liv. ix, chap. vi.