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ches, et chacune de ces branches a des fonctions distinctes et séparées.

Loin donc de nuire à l’État, cette noblesse, toute d’honneur, réduite à son principe le plus pur, est un contre-poids placé hors du centre du mouvement pour régulariser ce mouvement et maintenir l’équilibre de l’État. C’est ensuite un refuge pour tous les souvenirs, pour toutes les idées qui, ne trouvant pas leur place dans les nouvelles institutions, ne manqueroient pas de les troubler. Les gentilshommes, en maintenant le principe même de la monarchie, seront encore les conservateurs des traditions de l’honneur, les témoins de l’histoire, les hérauts d’armes des temps passés, les gardiens des vieilles chartes et les monuments de la chevalerie. Considérés seulement comme propriétaires, ces hommes, distingués par leur éducation, deviendront, comme nous le dirons bientôt, une excellente pépinière d’officiers, d’orateurs et d’hommes d’État.

Tout ceci n’est point une théorie plus ou moins ingénieuse, imaginée pour expliquer une constitution qui n’a point eu d’exemple chez les autres peuples. Il y a aussi en Angleterre une ancienne noblesse, plus fière de descendre des Bretons, des Saxons, des Danois, des Normands, des Aquitains, que d’occuper un siège dans la chambre des pairs. Cette noblesse étoit autrefois si hautaine, que nul ne pouvoit s’asseoir à la table d’un baron s’il n’étoit chevalier. Aujourd’hui elle est aussi entêtée de son blason, de ses quartiers, que les patriciens, à Rome, étoient orgueilleux de leur naissance et de leur droit d’images, jus imaginum. Le fief appartient entièrement à l’aîné, selon la coutume de Normandie. Il y a des hérauts d’armes et des rois d’armes qui tiennent registre de tous les nobles des provinces[1]. Cette noblesse détruit-elle la noblesse politique fondée dans cette même chambre des pairs ? Non ; mais elle sert à augmenter le poids et la dignité de la couronne. À Athènes même, ne considéroit-on pas ces familles de nobles qui remontoient au temps des rois ?

Une fois prouvé qu’un corps de noblesse intermédiaire peut et doit exister dans une monarchie mixte, qu’il n’y dérange aucun des ressorts politiques, on n’a pas besoin de défendre les anoblissements. Le roi d’Angleterre fait aussi des chevaliers et des baronets. Il y a une autre sorte d’anoblissement qui s’acquiert par la profession des arts libéraux, ou en vivant d’un revenu libre ; dans ce cas, l’anobli reçoit les armoiries qu’il choisit des mains du héraut d’armes. Ces récompenses du souverain ne détruisent point l’égalité devant la loi, et sont un moyen d’encourager le mérite et la vertu.

  1. Smith, De Reg. Angl., La Roque, Traité de la Noblesse.