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taillée à grandes facettes rouges, est décorée de plantes ; d’autres collines parallèles, couronnées de forêts, s’élèvent derrière la première colline, fuient en montant de plus en plus dans le ciel, jusqu’à ce que leur sommet, frappé de lumière, devienne de la couleur du ciel et s’évanouisse.

Au midi sont des savanes parsemées de bocages et couvertes de buffles, les uns couchés, les autres errants, ceux-ci paissant l’herbe, ceux-là arrêtés en groupe, et opposant les uns aux autres leurs têtes baissées. Au milieu de ce tableau les rapides, selon qu’ils sont frappés des rayons du soleil, rebroussés par le vent, ou ombrés par les nuages, s’élèvent en bouillons d’or, blanchissent en écume, ou roulent à flots brunis.

Au bas des rapides est un îlot où les corps se pétrifient. Cet îlot est couvert d’eau au temps des débordements ; on prétend que la vertu pétrifiante confinée à ce petit coin de terre ne s’étend pas au rivage voisin.

Des rapides à l’embouchure du Wabash on compte trois cent seize milles. Cette rivière communique, au moyen d’un portage de neuf milles, avec le Miamis du lac qui se décharge dans l’Érié. Les rivages du Wabash sont élevés ; on y a découvert une mine d’argent.

À quatre-vingt-quatorze milles au-dessous de l’embouchure du Wabash commence une cyprière. De cette cyprière aux bancs Jaunes, toujours en descendant l’Ohio, il y a cinquante-six milles : on laisse à gauche les embouchures de deux rivières qui ne sont qu’à dix-huit milles de distance l’une de l’autre.

La première rivière s’appelle le Chéroquois ou le Tennessée ; elle sort des monts qui séparent les Carolines et les Géorgies de ce qu’on appelle les terres de l’Ouest ; elle roule d’abord d’orient en occident au pied des monts : dans cette première partie de son cours, elle est rapide et tumultueuse ; ensuite elle tourne subitement au nord ; grossie de plusieurs affluents, elle épand et retient ses ondes, comme pour se délasser, après une fuite précipitée de quatre cents lieues. À son embouchure, elle a six cents toises de large, et dans un endroit nommé le Grand-Détour elle présente une nappe d’eau d’une lieue d’étendue.

La seconde rivière, le Shanawon ou le Cumberland, est la compagne du Chéroquois ou du Tennessée. Elle passe avec lui son enfance dans les mêmes montagnes, et descend avec lui dans les plaines. Vers le milieu de sa carrière, obligée de quitter le Tennessée, elle se hâte de parcourir des lieux déserts, et les deux jumeaux, se rapprochant vers la fin de leur vie, expirent à quelque distance l’un de l’autre dans l’Ohio, qui les réunit.