Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces montagnes ne sont pas, comme les Alpes et les Pyrénées, des monts entassés régulièrement les uns sur les autres, élevant au-dessus des nuages leurs sommets couverts de neige. À l’ouest et au nord, elles ressemblent à des murs perpendiculaires de quelques mille pieds, du haut desquels se précipitent les fleuves qui tombent dans l’Ohio et le Mississipi. Dans cette espèce de grande fracture, on aperçoit des sentiers qui serpentent au milieu des précipices avec les torrents. Ces sentiers et ces torrents sont bordés d’une espèce de pin dont la cime est couleur de vert de mer, et dont le tronc presque lilas est marqué de taches obscures produites par une mousse rase et noire.

Mais du côté du sud et de l’est, les Apalaches ne peuvent presque plus porter le nom de montagnes : leurs sommets s’abaissent graduellement jusqu’au sol qui borde l’Atlantique ; elles versent sur ce sol d’autres fleuves qui fécondent des forêts de chênes verts, d’érables, de noyers, de mûriers, de marronniers, de pins, de sapins, de copalmes, de magnolias et de mille espèces d’arbustes à fleurs.

Après ce court fragment vient un morceau assez étendu sur le cours de l’Ohio et du Mississipi, depuis Pittsbourg jusqu’aux Natchez. Le récit s’ouvre par la description des monuments de l’Ohio. Le Génie du Christianisme a un passage et une note sur ces monuments ; mais ce que j’ai écrit dans ce passage et dans cette note diffère en beaucoup de points de ce que je dis ici[1].

Représentez-vous des restes de fortifications ou de monuments, occupant une étendue immense. Quatre espèces d’ouvrages s’y font remarquer : des bastions carrés, des lunes, des demi-lunes et des tumuli. Les bastions, les lunes et demi-lunes sont réguliers, les fossés

  1. Depuis l’époque où j’écrivis cette Dissertation, des hommes savants et des Sociétés archéologiques américaines ont publié des Mémoires sur les ruines de l’Ohio. Ils sont curieux sous deux rapports :
    1o Ils rappellent les traditions des tribus indiennes ; ces tribus indiennes disent toutes qu’elles sont venues de l’ouest aux rivages de l’Atlantique, un siècle ou deux (autant qu’on en peut juger) avant la découverte de l’Amérique par les Européens ; qu’elles eurent dans leurs longues marches beaucoup de peuples à combattre, particulièrement sur les rives de l’Ohio, etc.
    2o Les Mémoires des savants américains mentionnent la découverte de quelques idoles trouvées dans des tombeaux, lesquelles idoles ont un caractère purement asiatique. Il est très-certain qu’un peuple beaucoup plus civilisé que les sauvages actuels de l’Amérique a fleuri dans la vallée de l’Ohio et du Mississipi. Quand et comment a-t-il péri ? C’est ce qu’on ne saura peut-être jamais. Ces Mémoires dont je parle sont peu connus, et méritent de l’être. On les trouve dans le journal intitulé Nouvelles Annales des Voyages.