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tion pendant sept autres. Tous ces lacs ont un flux et reflux plus ou moins sensibles.

Le lac Supérieur occupe un espace de plus de 4 degrés entre le 46e et le 50e de latitude nord, et non moins de 8 degrés entre le 87e et le 95e de longitude ouest, méridien de Paris ; c’est-à-dire que cette mer intérieure a cent lieues de large et environ deux cents de long, donnant une circonférence d’à peu près six cents lieues.

Quarante rivières réunissent leurs eaux dans cet immense bassin ; deux d’entre elles, l’Allinipigon et le Michipicroton, sont deux fleuves considérables ; le dernier prend sa source dans les environs de la baie d’Hudson.

Des îles ornent le lac, entre autres l’île Maurepas, sur la côte septentrionale, l’île Pontchartrain, sur la rive orientale ; l’île Minong vers la partie méridionale, et l’île du Grand-Esprit, ou des Âmes, à l’occident : celle-ci pourroit former le territoire d’un État en Europe ; elle mesure trente-cinq lieues de long et vingt de large.

Les caps remarquables du lac sont : la pointe Kioucounan, espèce d’isthme s’allongeant de deux lieues dans les flots ; le cap Minabeaujou, semblable à un phare ; le cap de Tonnerre, près de l’anse du même nom, et le cap Rochedebout, qui s’élève perpendiculairement sur les grèves comme un obélisque brisé.

Le rivage méridional du lac Supérieur est bas, sablonneux, sans abri ; les côtes septentrionales et orientales sont au contraire montagneuses, et présentent une succession de rochers taillés à pic. Le lac lui-même est creusé dans le roc. À travers son onde verte et transparente, l’œil découvre à plus de trente et quarante pieds de profondeur des masses de granit de différentes formes, et dont quelques-unes paroissent comme nouvellement sciées par la main de l’ouvrier. Lorsque le voyageur, laissant dériver son canot, regarde, penché sur le bord, la crête de ces montagnes sous-marines, il ne peut jouir longtemps de ce spectacle ; ses yeux se troublent, et il éprouve des vertiges.

Frappée de l’étendue de ce réservoir des eaux, l’imagination s’accroît avec l’espace : selon l’instinct commun de tous les hommes, les Indiens ont attribué la formation de cet immense bassin à la même puissance qui arrondit la voûte du firmament ; ils ont ajouté à l’admiration qu’inspire la vue du lac Supérieur la solennité des idées religieuses.

Ces sauvages ont été entraînés à faire de ce lac l’objet principal de leur culte, par l’air de mystère que la nature s’est plu à attacher à l’un de ses plus grands ouvrages. Le lac Supérieur a un flux et un reflux irréguliers : ses eaux, dans les plus grandes chaleurs de l’été,