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je n’en étois pas quitte à aussi bon marché que je l’avois cru d’abord. Je sentis une douleur insupportable au bras gauche ; je l’avois cassé au-dessous du coude. Mon guide, qui me regardoit d’en haut, et auquel je fis signe, courut chercher quelques sauvages, qui, avec beaucoup de peine, me remontèrent avec des cordes de bouleau et me transportèrent chez eux.

Ce ne fut pas le seul risque que je courus à Niagara. En arrivant, je m’étois rendu à la chute, tenant la bride de mon cheval entortillée à mon bras ; tandis que je me penchois pour regarder en bas, un serpent à sonnettes remua dans les buissons voisins ; le cheval s’effraye, recule en se cabrant et en approchant du gouffre. Je ne puis dégager mon bras des rênes, et le cheval, toujours plus effarouché, m’entraîne après lui. Déjà ses pieds de devant quittoient la terre, et accroupi sur le bord de l’abîme, il ne s’y tenoit plus que par force de reins. C’en étoit fait de moi, lorsque l’animal, étonné lui-même du nouveau péril, fait un nouvel effort, s’abat en dedans par une pirouette et s’élance à dix pieds loin du bord[1].

Je n’avois qu’une fracture simple au bras : deux lattes, un bandage et une écharpe suffirent à ma guérison. Mon Hollandois ne voulut pas aller plus loin. Je le payai, et il retourna chez lui. Je fis un nouveau marché avec des Canadiens de Niagara, qui avoient une partie de leur famille à Saint-Louis des Illinois, sur le Mississipi.

Le manuscrit présente maintenant un aperçu général des lacs du Canada.

LACS DU CANADA.

Le trop-plein des eaux du lac Érié se décharge dans le lac Ontario, après avoir formé la cataracte de Niagara. Les Indiens trouvoient autour du lac Ontario le baume blanc dans le baumier ; le sucre dans l’érable, le noyer et le merisier ; la teinture rouge dans l’écorce de la perousse ; le toit de leurs chaumières dans l’écorce du bois blanc : ils trouvoient le vinaigre dans les grappes rouges du vinaigrier, le miel et le coton dans les fleurs de l’asperge sauvage ; l’huile pour les cheveux dans le tournesol, et une panacée pour les blessures dans la plante universelle. Les Européens ont remplacé ces bienfaits de la nature par les productions de l’art : les sauvages ont disparu.

  1. Essai historique.