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adresse surprenante, et replacèrent les pièces avec la même dextérité : c’étoit un simple fusil de chasse à deux coups.

Le sachem parloit anglois et entendoit le françois : mon interprète savoit l’iroquois, de sorte que la conversation fut facile. Entre autres choses le vieillard me dit que, quoique sa nation eût toujours été en guerre avec la mienne, elle l’avoit toujours estimée. Il m’assura que les sauvages ne cessoient de regretter les François ; il se plaignit des Américains, qui bientôt ne laisseroient pas aux peuples dont les ancêtres les avoient reçus assez de terre pour couvrir leurs os.

Je parlai au sachem de la détresse de la veuve indienne : il me dit qu’en effet cette femme étoit persécutée, qu’il avoit plusieurs fois sollicité à son sujet les commissaires américains, mais qu’il n’en avoit pu obtenir justice ; il ajouta qu’autrefois les Iroquois se la seroient faite.

Les femmes indiennes nous servirent un repas. L’hospitalité est la dernière vertu sauvage qui soit restée aux Indiens au milieu des vices de la civilisation européenne. On sait quelle étoit autrefois cette hospitalité : une fois reçu dans une cabane on devenoit inviolable : le foyer avoit la puissance de l’autel ; il vous rendoit sacré. Le maître de ce foyer se fût fait tuer avant qu’on touchât à un seul cheveu de votre tête.

Lorsqu’une tribu chassée de ses bois, ou lorsqu’un homme venoit demander l’hospitalité, l’étranger commençoit ce qu’on appeloit la danse du suppliant. Cette danse s’exécutoit ainsi :

Le suppliant avançoit quelques pas, puis s’arrêtoit en regardant le supplié, et reculoit ensuite jusqu’à sa première position. Alors les hôtes entonnoient le chant de l’étranger : « Voici l’étranger, voici l’envoyé du Grand-Esprit. » Après le chant, un enfant alloit prendre la main de l’étranger pour le conduire à la cabane. Lorsque l’enfant touchoit le seuil de la porte, il disoit : « Voici l’étranger ! » et le chef de la cabane répondoit : « Enfant, introduis l’homme dans ma cabane. » L’étranger, entrant alors sous la protection de l’enfant, alloit, comme chez les Grecs, s’asseoir sur la cendre du foyer. On lui présentoit le calumet de paix ; il fumoit trois fois, et les femmes disoient le chant de la consolation : « L’étranger a retrouvé une mère et une femme : le soleil se lèvera et se couchera pour lui comme auparavant. »

On remplissoit d’eau d’érable une coupe consacrée : c’étoit une calebasse ou un vase de pierre qui reposoit ordinairement dans le coin de la cheminée, et sur lequel on mettoit une couronne de fleurs. L’étranger buvoit la moitié de l’eau, et passoit la coupe à son hôte qui achevoit de la vider.