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palais. Le bûcher de voyage fut allumé pour faire cuire notre souper et chasser les maringouins. Nos selles nous servoient d’oreiller sous l’ajoupa, et nos manteaux de couverture.

Nous attachâmes une sonnette au cou de nos chevaux, et nous les lâchâmes dans les bois. Par un instinct admirable, ces animaux ne s’écartent jamais assez loin pour perdre de vue le feu que leurs maîtres allument la nuit afin de chasser les insectes et de se défendre des serpents.

Du fond de notre hutte nous jouissions d’une vue pittoresque. Devant nous s’étendoit le lac, assez étroit et bordé de forêts et de rochers ; autour de nous la rivière, enveloppant notre presqu’île de ses ondes vertes et limpides, balayoit ses rivages avec impétuosité.

Il n’étoit guère que quatre heures après-midi lorsque notre établissement fut achevé. Je pris mon fusil et j’allai errer dans les environs. Je suivis d’abord le cours de la rivière ; mes recherches botaniques ne furent pas heureuses : les plantes étoient peu variées. Je remarquai des familles nombreuses de plantago virginica, et de quelques autres beautés de prairies, toutes assez communes ; je quittai les bords de la rivière pour les côtes du lac, et je ne fus pas plus chanceux. À l’exception d’une espèce de rhododendrum, je ne trouvai rien qui valût la peine de m’arrêter : les fleurs de cet arbuste, d’un rose vif, faisoient un effet charmant avec l’eau bleue du lac où elles se miroient, et le flanc brun du rocher dans lequel elles enfonçoient leurs racines.

Il y avoit peu d’oiseaux ; je n’aperçus qu’un couple solitaire qui voltigeoit devant moi, et qui sembloit se plaire à répandre le mouvement et l’amour sur l’immobilité et la froideur de ces sites. La couleur du mâle me fît reconnoître l’oiseau blanc, ou le passer nivalis des ornithologistes. J’entendis aussi la voie de cette espèce d’orfraie que l’on a fort bien caractérisée par cette définition, strix exclamator. Cet oiseau est inquiet comme tous les tyrans : je me fatiguai vainement à sa poursuite.

Le vol de cette orfraie m’avoit conduit à travers les bois jusqu’à un vallon resserré par des collines nues et pierreuses. Dans ce lieu extrêmement retiré on voyoit une méchante cabane de sauvage bâtie à mi-côte entre les rochers : une vache maigre paissoit dans un pré au-dessous.

J’ai toujours aimé ces petits abris : l’animal blessé se tapit dans un coin ; l’infortuné craint d’étendre au dehors avec sa vue des sentiments que les hommes repoussent. Fatigué de ma course, je m’assis au haut du coteau que je parcourois, ayant en face la hutte indienne sur le