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Nous nous avançâmes vers une habitation assez éloignée pour y acheter ce qu’on voudroit nous vendre. Nous traversâmes quelques petits bois de baumiers et de cèdres de la Virginie qui parfumoient l’air. Je vis voltiger des oiseaux moqueurs et des cardinaux, dont les chants et les couleurs m’annoncèrent un nouveau climat. Une négresse de quatorze ou quinze ans, d’une beauté extraordinaire, vint nous ouvrir la barrière d’une maison qui tenoit à la fois de la ferme d’un Anglois et de l’habitation d’un colon. Des troupeaux de vaches paissoient dans des prairies artificielles entourées de palissades dans lesquelles se jouoient des écureuils gris, noirs et rayés ; des nègres scioient des pièces de bois, et d’autres cultivoient des plantations de tabac. Nous achetâmes des gâteaux de maïs, des poules, des œufs, du lait, et nous retournâmes au bâtiment mouillé dans la baie.

On leva l’ancre pour gagner la rade, et ensuite le port de Baltimore. Le trajet fut lent ; le vent manquoit. En approchant de Baltimore, les eaux se rétrécirent : elles étoient d’un calme parfait ; nous avions l’air de remonter un fleuve bordé de longues avenues : Baltimore s’offrit à nous comme au fond d’un lac. En face de la ville s’élevoit une colline ombragée d’arbres, au pied de laquelle on commençoit à bâtir quelques maisons. Nous amarrâmes au quai du port. Je couchai à bord, et ne descendis à terre que le lendemain. J’allai loger à l’auberge, où l’on porta mes bagages. Les séminaristes se retirèrent avec leur supérieur à l’établissement préparé pour eux, d’où ils se sont dispersés en Amérique.

Baltimore, comme toutes les autres métropoles des États-Unis, n’avoit pas l’étendue qu’elle a aujourd’hui : c’étoit une jolie ville fort propre et fort animée. Je payai mon passage au capitaine, et lui donnai un dîner d’adieu dans une très-bonne taverne auprès du port. J’arrêtai ma place au stage, qui faisoit trois fois la semaine le voyage de Philadelphie. À quatre heures du matin je montai dans ce stage, et me voilà roulant sur les grands chemins du Nouveau Monde, où je ne connoissois personne, où je n’étois connu de qui que ce soit : mes compagnons de voyage ne m’avoient jamais vu, et je ne devois jamais les revoir après notre arrivée à la capitale de la Pensylvanie.

La route que nous parcourûmes étoit plutôt tracée que faite. Le pays étoit assez nu et assez plat : peu d’oiseaux, peu d’arbres, quelques maisons éparses, point de villages, voilà ce que présentoit la campagne et ce qui me frappa désagréablement.

En approchant de Philadelphie nous rencontrâmes des paysans allant au marché, des voitures publiques et d’autres voitures fort élégantes. Philadelphie me parut une belle ville : les rues larges ; quel-