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la conspiration royaliste à laquelle il donna son nom. J’avois pour compagnons de voyage de jeunes séminaristes de Saint-Sulpice, que leur supérieur, homme de mérite, conduisoit à Baltimore. Nous mîmes à la voile : au bout de quarante-huit heures nous perdîmes la terre de vue, et nous entrâmes dans l’Atlantique.

Il est difficile aux personnes qui n’ont jamais navigué de se faire une idée des sentiments qu’on éprouve lorsque du bord d’un vaisseau on n’aperçoit plus que la mer et le ciel. J’ai essayé de retracer ces sentiments dans le chapitre du Génie du Christianisme intitulé Deux Perspectives de la nature, et dans Les Natchez, en prêtant mes propres émotions à Chactas. L’Essai historique et l’Itinéraire sont également remplis des souvenirs et des images de ce qu’on peut appeler le désert de l’Océan. Me trouver au milieu de la mer, c’étoit n’avoir pas quitté ma patrie ; c’étoit, pour ainsi dire, être porté dans mon premier voyage par ma nourrice, par la confidente de mes premiers plaisirs. Qu’il me soit permis, afin de mieux faire entrer le lecteur dans l’esprit de la relation qu’il va lire, de citer quelques pages de mes Mémoires inédits : presque toujours notre manière de voir et de sentir tient aux réminiscences de notre jeunesse.

C’est à moi que s’appliquent les vers de Lucrèce

Tum porro puer ut sævis projectus ab undis
Navita
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Le ciel voulut placer dans mon berceau une image de mes destinées.

« Élevé comme le compagnon des vents et des flots, ces flots, ces vents, cette solitude, qui furent mes premiers maîtres, convenoient peut-être mieux à la nature de mon esprit et à l’indépendance de mon caractère. Peut-être dois-je à cette éducation sauvage quelque vertu que j’aurois ignorée : la vérité est qu’aucun système d’éducation n’est en soi préférable à un autre. Dieu fait bien ce qu’il fait ; c’est sa providence qui nous dirige, lorsqu’elle nous appelle à jouer un rôle sur la scène du monde. »

Après les détails de l’enfance viennent ceux de mes études. Bientôt échappé du toit paternel, je dis l’impression que fit sur moi Paris, la cour, le monde ; je peins la société d’alors, les hommes que je rencontrai ; les premiers mouvements de la révolution : la suite des dates m’amène à l’époque de mon départ pour les États-Unis. En me rendant au port je visitai la terre où s’étoit écoulée une partie de mon enfance : je laisse parler les Mémoires.

« Je n’ai revu Combourg que trois fois : à la mort de mon père toute la