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souvenir des services qu’ils ont rendus au monde entier par leurs talents, leurs exploits et leurs vertus. »

C’est un étranger qui écrit en françois : on reconnoîtra facilement le goût, les traits, le caractère et le juste orgueil du génie italien.

La vérité est que le plateau où le Mississipi prend sa source est une terre unie, mais culminante, dont les versants envoient les eaux au nord, à l’est, au midi et à l’ouest ; que sur ce plateau sont creusés une multitude de lacs ; que ces lacs répandent des rivières qui coulent à tous les rumbs de vent. Le sol de ce plateau supérieur est mouvant comme s’il flottoit sur des abîmes. Dans la saison des pluies, les rivières et les lacs débordent : on diroit d’une mer, si cette mer ne portoit des forêts de folle-avoine de vingt et trente pieds de hauteur. Les canots, perdus dans ce double océan d’eau et d’herbes, ne se peuvent diriger qu’à l’aide des étoiles ou de la boussole. Quand des tempêtes surviennent, les moissons fluviales plient, se renversent sur les embarcations, et des millions de canards, de sarcelles, de morelles, de hérons, de bécassines s’envolent en formant un nuage au-dessus de la tête des voyageurs.

Les eaux débordées restent pendant quelques jours incertaines de leur penchant ; peu à peu elles se partagent. Une pirogue est doucement entraînée vers les mers polaires, les mers du midi, les grands lacs du Canada, les affluents du Missouri, selon le point de la circonférence sur lequel elle se trouve lorsqu’elle a dépassé le milieu de l’inondation. Rien n’est étonnant et majestueux comme ce mouvement et cette distribution des eaux centrales de l’Amérique du Nord.

Sur le Mississipi inférieur, le major Pike, en 1806, M. Nuttal, en 1819, ont parcouru le territoire d’Arkansa, visité les Osages, et fourni des renseignements aussi utiles à l’histoire naturelle qu’à la topographie.

Tel est ce Mississipi, dont je parlerai dans mon Voyage ; fleuve que les François descendirent les premiers en venant du Canada ; fleuve qui coula sous leur puissance, et dont la riche vallée regrette encore leur génie.

Colomb découvrit l’Amérique dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492 : le capitaine Francklin a complété la découverte de ce monde nouveau le 18 août 1826. Que de générations écoulées, que de révolutions accomplies, que de changements arrivés chez les peuples dans cet espace de trois cent trente-trois ans neuf mois et vingt-quatre jours !

Le monde ne ressemble plus au monde de Colomb. Sur ces mers ignorées