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une sauterelle, où la nature, ébauchée ainsi que Lucrèce l’a décrite au bord du Nil, nourrit une espèce de monstre, un animal qui tient de l’oiseau, du poisson et du serpent, qui nage sous l’eau, pond un œuf et frappe d’un aiguillon mortel.

En Amérique, l’illustre Humboldt a tout peint et tout dit.

Le résultat de tant d’efforts, les connoissances positives acquises sur tant de lieux, le mouvement de la politique, le renouvellement des générations, le progrès de la civilisation, ont changé le tableau primitif du globe.

Les villes de l’Inde mêlent à présent à l’architecture des Brames des palais italiens et des monuments gothiques ; les élégantes voitures de Londres se croisent avec les palanquins et les caravanes sur les chemins du Tigre et de l’Éléphant. De grands vaisseaux remontent le Gange et l’Indus : Calcutta, Bombay, Bénarès, ont des spectacles, des soirées savantes, des imprimeries. Le pays des Mille et une Nuits, le royaume de Cachemire, l’empire du Mogol, les mines de diamants de Golconde, les mers qu’enrichissent les perles orientales, cent vingt millions d’hommes que Bacchus, Sésostris, Darius, Alexandre, Tamerlan, Gengis-Kan, avoient conquis, ou voulu conquérir, ont pour propriétaires et pour maîtres une douzaine de marchands anglois dont on ne sait pas le nom, et qui demeurent à quatre mille lieues de l’Indostan, dans une rue obscure de la cité de Londres. Ces marchands s’embarrassent très-peu de cette vieille Chine, voisine de leurs cent vingt millions de vassaux : lord Hastings leur a proposé d’en faire la conquête avec vingt mille hommes. Mais quoi ! le thé baisseroit de prix sur les bords de la Tamise ! Voilà ce qui sauve l’empire de Tobi, fondé deux mille six cent trente-sept ans avant l’ère chrétienne[1], de ce Tobi contemporain de Réhu, trisaïeul d’Abraham.

En Afrique, un monde européen commence au cap de Bonne-Espérance. Le révérend John Campbell, parti de ce cap, a pénétré dans l’Afrique australe jusqu’à la distance de onze mille milles ; il a trouvé des cités très-peuplées (Machéou, Kurréchane), des terres bien cultivées et des fonderies de fer. Au nord de l’Afrique, le royaume de Bornou et le Soudan, proprement dit, ont offert à MM. Clapperton et Denham trente-six villes plus ou moins considérables, une civilisation avancée, une cavalerie nègre, armée comme les anciens chevaliers.

L’ancienne capitale d’un royaume nègre mahométan présentoit des ruines de palais, retraite des éléphants, des lions, des serpents et des autruches.

  1. Je suis la chronologie chinoise ; il faut en rabattre une couple de mille ans.