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« Fils jumeaux de Daucus, rejetons semblables, ô Laris et Thymber ! vos parents mêmes ne pouvoient vous distinguer, et vous leur causiez de douces méprises ! Mais la mort mit entre vous une cruelle différence. »

Ajoutons que le pin annonce la solitude et l’indigence de la montagne. Il est le compagnon du pauvre Savoyard, dont il partage la destinée : comme lui, il croît et meurt inconnu sur des sommets inaccessibles, où sa postérité se perpétue également ignorée. C’est sur le mélèze que l’abeille cueille ce miel ferme et savoureux qui se marie si bien avec la crème et les framboises du Montanvert. Les bruits du pin , quand ils sont légers, ont été loués par les poètes bucoliques ; quand ils sont violents, ils ressemblent au mugissement de la mer : vous croyez quelquefois entendre gronder l’Océan au milieu des Alpes. Enfin, l’odeur du pin est aromatique et agréable ; elle a surtout pour moi un charme particulier, parce que je l’ai respirée à plus de vingt lieues en mer sur les côtes de la Virginie : aussi réveille-t-elle toujours dans mon esprit l’idée de ce Nouveau Monde qui me fut annoncé par un souffle embaumé, de ce beau ciel, de ces mers brillantes où le parfum des forêts m’étoit apporté par la brise du matin ; et comme tout s’enchaîne dans nos souvenirs, elle rappelle aussi dans ma mémoire les sentiments de regrets et d’espérance qui m’occupoient lorsque appuyé sur le bord du vaisseau je rêvois à cette patrie que j’avois perdue, et à ces déserts que j’allois trouver.

Mais, pour venir enfin à mon sentiment particulier sur les montagnes, je dirai que comme il n’y a pas de beaux paysages sans un horizon de montagnes, il n’y a point aussi de lieux agréables à habiter ni de satisfaisants pour les yeux et pour le cœur là où on manque d’air et d’espace : or, c’est ce qui arrive dans l’intérieur des monts. Ces lourdes masses ne sont point en harmonie avec les facultés de l’homme et la foiblesse de ses organes.

On attribue aux paysages des montagnes la sublimité : celle-ci tient sans doute à la grandeur des objets. Mais si l’on prouve que cette grandeur, très-réelle en effet, n’est cependant pas sensible au regard, que devient la sublimité ?

Il en est des monuments de la nature comme de ceux de l’art : pour jouir de leur beauté, il faut être au véritable point de perspective ; autrement, les formes, les couleurs, les proportions, tout disparoît. Dans l’intérieur des montagnes, comme on touche à l’objet même, et comme le champ de l’optique est trop resserré, les dimensions perdent nécessairement leur grandeur : chose si vraie, que l’on est continuellement trompé sur les hauteurs et sur les distances. J’en appelle aux voyageurs : le Mont-Blanc leur a-t-il paru fort élevé du fond de la val-