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VOYAGE A CLERMONT.

famille d’Auvergne, appelée les Guittard-Pinon, cultivoit en commun des terres dans les environs de Thiers ; elle étoit gouvernée par un chef électif, et ressembloit assez à un ancien clan d’Ecosse. Cette espèce de république champêtre a survécu à la révolution, mais elle est au moment de se dissoudre.

Je laisse de côté les curiosités naturelles de l’Auvergne, la grotte de Royat, charmante néanmoins par ses eaux et sa verdure, les diverses fontaines minérales, la fontaine pétrifiante de Saint-Allyre, avec le pont de pierre qu’elle a formé et que Charles IX voulut voir : le puits de la poix, les volcans éteints, etc.

Je laisse aussi à l’écart les merveilles des siècles moyens, les orgues, les horloges avec leur carillon et leurs têtes de Maure ou de More, qui ouvroient des bouches effroyables quand l’heure venoit à sonner. Les processions bizarres, les jeux mêlés de superstition et d’indécence, mille autres coutumes de ces temps, n’appartiennent pas plus à l’Auvergne qu’au reste de l’Europe gothique.

J’ai voulu avant de mourir jeter un regard sur l’Auvergne, en souvenance des impressions de ma jeunesse. Lorsque j’étois enfant, dans les bruyères de ma Bretagne, et que j’entendois parler de l’Auvergne et des petits Auvergnats, je me figurois que l’Auvergne étoit un pays bien loin, bien loin, où l’on voyoit des choses étranges, où l’on ne pouvoit aller qu’avec de grands périls, en cheminant sous la garde de la Mère de Dieu. Une chose m’a frappé et charmé à la fois : j’ai retrouvé dans l’habit du paysan Auvergnat le vêtement du paysan breton. D’où vient cela ? C’est qu’il y avoit autrefois pour ce royaume, et même pour l’Europe entière, un fond d’habillement commun. Les provinces reculées ont gardé les anciens usages, tandis que les départements voisins de Paris ont perdu leurs vieilles mœurs : de là cette ressemblance entre certains villageois placés aux extrémités opposées de la France, et qui ont été défendus contre les nouveautés par leur indigence et leur solitude.

Je ne vois jamais sans une sorte d’attendrissement ces petits Auvergnats qui vont chercher fortune dans ce grand monde, avec une boîte et quelques méchantes paires de ciseaux. Pauvres enfants qui dévalent bien tristes de leurs montagnes, et qui préféreront toujours le pain bis et la bourrée aux prétendues joies de la plaine. Ils n’avoient guère que l’espérance dans leur boîte en descendant de leurs rochers ; heureux s’ils la rapportent à la chaumière paternelle !

fin du voyage à Clermont.