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VOYAGE A CLERMONT.

spective à vol d’oiseau est plate et vague ; l’objet se rapetisse dans la même proportion que l’espace s’étend.

Il y avoit autrefois sur le Puy-de-Dôme une chapelle dédiée à saint Barnabé ; on en voit encore les fondements : une pyramide de pierre de dix ou douze pieds marque aujourd’hui l’emplacement de cette chapelle. C’est là que Pascal a fait les premières expériences sur la pesanteur de l’air. Je me représentois ce puissant génie cherchant à découvrir sur ce sommet solitaire les secrets de la nature, qui devoient le conduire à la connoissance des mystères du Créateur de cette même nature. Pascal se fraya au moyen de la science le chemin à l’ignorance chrétienne ; il commença par être un homme sublime pour apprendre à devenir un simple enfant.

Le Puy-de-Dôme n’est élevé que de huit cent vingt-cinq toises au-dessus du niveau de la mer ; cependant je sentis à son sommet une difficulté de respirer que je n’ai éprouvée ni dans les Alleghanys, en Amérique, ni sur les plus hautes Alpes de la Savoie. J’ai gravi le Puy-de-Dôme avec autant de peine que le Vésuve ; il faut près d’une heure pour monter de sa base au sommet par un chemin roide et glissant, mais la verdure et les fleurs vous suivent. La petite fille qui me servoit de guide m’avoit cueilli un bouquet des plus belles pensées ; j’ai moi-même trouvé sous mes pas des œillets rouges d’une élégance parfaite. Au sommet du mont on voit partout de larges feuilles d’une plante bulbeuse, assez semblable au lis. J’ai rencontré, à ma grande surprise, sur ce lieu élevé trois femmes qui se tenoient par la main et qui chantoient un cantique. Au-dessous de moi, des troupeaux de vaches paissoient parmi les monticules que domine le Puy-de-Dôme. Ces troupeaux montent à la montagne avec le printemps, et en descendent avec la neige. On voit partout les burons ou les chalets de l’Auvergne, mauvais abris de pierres sans ciment ou de bois gazonné. Chantez les chalets, mais ne les habitez pas.

Le patois de la montagne n’est pas exactement celui de la plaine. La musette, d’origine celtique, sert à accompagner quelques airs de romances, qui ne sont pas sans euphonie, et sur lesquels on a fait des paroles françoises. Les Auvergnats, comme les habitants du Rouergue, vont vendre des mules en Catalogne et en Aragon ; ils rapportent de ce pays quelque chose d’espagnol qui se marie bien avec la solitude de leurs montagnes ; ils font pour leurs longs hivers provision de soleil et d’histoires. Les voyageurs et les vieillards aiment à conter, parce qu’ils ont beaucoup vu : les uns ont cheminé sur la terre, les autres dans la vie.

Les pays de montagnes sont propres à conserver les mœurs. Une

VI.
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