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VOYAGE A CLERMONT.

par les extrémités, imitoient à l’horizon la sinuosité d’une guirlande ou les festons de ces draperies que l’on suspend aux murs d’un palais avec des roses de bronze. Les montagnes du levant, dessinées de la sorte et peintes, comme je l’ai dit, des reflets du soleil opposé, ressembloient à un rideau de moire bleue et pourpre ; lointaine et dernière décoration du pompeux spectacle que la Limagne étaloit à mes yeux.

Les deux degrés de différence entre la latitude de Clermont et celle de Paris sont déjà sensibles dans la beauté de la lumière : cette lumière est plus fine et moins pesante que dans la vallée de la Seine ; la verdure s’aperçoit de plus loin et paroît moins noires :

Adieu donc, Chanonat ! adieu, frais paysages !
Il semble qu’un autre air parfume vos rivages ;
Il semble que leur vue ait ranimé mes sens,
M’ait redonné la joie et rendu mon printemps.

Il faut en croire le poëte de l’Auvergne.

J’ai remarqué ici dans le style de l’architecture des souvenirs et des traditions de l’Italie : les toits sont plats, couverts en tuile à canal, les lignes des murs longues, les fenêtres étroites et percées haut, les portiques multipliés, les fontaines fréquentes. Rien ne ressemble plus aux villes et aux villages de l’Apennin que les villes et les villages des montagnes de Thiers, de l’autre côté de la Limagne, au bord de ce Lignon où Céladon ne se noya pas, sauvé qu’il fut par les trois nymphes Sylvie, Galatée et Léonide.

11 ne reste aucune antiquité romaine à Clermont, si ce n’est peut-être un sarcophage, un bout de voie romaine et des ruines d’aqueduc ; pas un fragment du colosse, pas même de trace des maisons, des bains et des jardins de Sidoine. Nemetum et Clermont ont soutenu au moins seize sièges, ou, si l’on veut, ils ont été pris et détruits une vingtaine de fois.

Un contraste assez frappant existe entre les femmes et les hommes de cette province. Les femmes ont les traits délicats, la taille légère et déliée ; les hommes sont construits fortement, et il est impossible de ne pas reconnoître un véritable Auvergnat à la forme de la mâchoire inférieure. Une province, pour ne parler que des morts, dont le sang a donné Turenne à l’armée, L’Hospital à la magistrature et Pascal aux sciences et aux lettres, a prouvé qu’elle a une vertu supérieure.

Je suis allé au Puy-de-Dôme par pure affaire de conscience. II m’est arrivé ce à quoi je m’étois attendu : la vue du haut de cette montagne est beaucoup moins belle que celle dont on jouit de Clermont. La per-