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Shouten et Lemaire, doublèrent la pointe méridionale de l’Amérique. La géographie du globe fut alors fixée de ce côté : on sut que l’Amérique et l’Afrique, se terminant aux caps de Horn et de Bonne-Espérance, pendoient en pointes vers le pôle antarctique, sur une mer australe parsemée de quelques îles.

Dans le grand Océan, la Californie, son golfe et la mer Vermeille avoient été connus de Cortès ; Cabrillo remonta le long des côtes de la Nouvelle-Californie jusqu’au 43e degré de latitude nord ; Galli s’éleva au 57e degré. Au milieu de tant de périples réels, Maldonado, Juan de Fuca et l’amiral de Fonte placèrent leurs voyages chimériques. Ce fut Behring qui fixa au nord-ouest les limites de l’Amérique septentrionale, comme Lemaire avoit fixé au sud-est les bornes de l’Amérique méridionale. L’Amérique barre le chemin de l’Inde comme une longue digue entre deux mers.

Une cinquième partie du monde vers le pôle austral avoit été aperçue par les premiers navigateurs portugais : cette partie du monde est même dessinée assez correctement sur une carte du xvie siècle, conservée dans le muséum britannique : mais cette terre, longée de nouveau par les Hollandois, successeurs des Portugais aux Moluques, fut nommée par eux terre de Diemen. Elle reçut enfin le nom de Nouvelle-Hollande, lorsqu’en 1642 Abel Tasman en eut achevé le tour : Tasman, dans ce voyage, eut connoissance de la Nouvelle-Zélande.

Des intérêts de commerce et des guerres politiques ne laissèrent pas longtemps les Espagnols et les Portugais en jouissance paisible de leurs conquêtes. En vain le pape avoit tracé la fameuse ligne qui partageoit le monde entre les héritiers du génie de Gama et de Colomb. Le vaisseau de Magellan avoit prouvé physiquement aux plus incrédules que la terre étoit ronde et qu’il existoit des antipodes. La ligne droite du souverain pontife ne divisoit donc plus rien sur une surface circulaire, et se perdoit dans le ciel. Les prétentions et les droits furent bientôt mêlés et confondus.

Les Portugais s’établirent en Amérique et les Espagnols aux Indes ; les Anglois, les François, les Danois, les Hollandois accoururent au partage de la proie. On descendoit pêle-mêle sur tous les rivages : on plantoit un poteau, on arboroit un pavillon : on prenoit possession d’une mer, d’une île, d’un continent au nom d’un souverain de l’Europe, sans se demander si des peuples, des rois, des hommes policés ou sauvages n’étoient point les maîtres légitimes de ces lieux. Les missionnaires pensoient que le monde appartenoit à la Croix, dans ce sens que le Christ, conquérant pacifique, devoit