Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
VOYAGE A CLERMONT.

Selon le père Lacoste, la seule vue de l’ivoire du bras de Marguerite triompha de Canillac.

Pour finir ce notable commentaire, qui m’est échappé d’un flux de caquet, comme parle Montaigne, je dirai que les deux lignées royales des d’Orléans et des Valois avoient peu de mœurs, mais qu’elles avoient du génie ; elles aimoient les lettres et les arts : le sang françois et le sang italien se mêloient en elles par Valentine de Milan et Catherine de Médicis. François Ier étoit poëte, témoin ses vers charmants sur Agnès Sorel ; sa sœur, la royne de Navarre, contoit à la manière de Boccace ; Charles IX rivalisoit avec Ronsard ; les chants de Marguerite de Valois, d’ailleurs tolérante et humaine (elle sauva plusieurs victimes à la Saint-Barthélemy), étoient répétés par toute la cour : ses Mémoires sont pleins de dignité, de grâce et d’intérêt.

Le siècle des arts en France est celui de François Ier en descendant jusqu’à Louis XIII, nullement le siècle de Louis XIV : le petit palais des Tuileries, le vieux Louvre, une partie de Fontainebleau et d’Anet, le palais du Luxembourg, sont ou étoient fort supérieurs aux monuments du grand roi.

C’étoit tout un autre personnage que Marguerite de Valois, ce chancelier de L’Hospital, né à Aigueperse, à quinze ou seize lieues d’Usson. « C’étoit un autre censeur Caton, celui-là, dit Brantôme, et qui savoit très-bien censurer et corriger le monde corrompu. Il en avoit du moins toute l’apparence avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave, qu’on eût dit à le voir que c’étoit un vrai portrait de saint Jérôme.

« Il ne falloit pas se jouer avec ce grand juge et rude magistrat ; si étoit-il pourtant doux quelquefois, là où il voyoit de la raison… Ces belles-lettres humaines lui rabattoient beaucoup de sa rigueur de justice. Il étoit grand orateur et fort disert ; grand historien, et surtout très-divin poëte latin, comme plusieurs de ses œuvres l’ont manifesté tel. »

Le chancelier de L’Hospital, peu aimé de la cour et disgracié, se retira pauvre dans une petite maison de campagne auprès d’Étampes. On l’accusoit de modération en religion et en politique : des assassins furent envoyés pour le tuer lors du massacre de la Saint-Barthélemy. Ses domestiques vouloient fermer les portes de sa maison : « Non, non, dit-il ; si la petite porte n’est bastante pour les faire entrer, ouvrez la grande. »

La veuve du duc de Guise sauva la fille du chancelier, en la cachant dans sa maison ; il dut lui-même son salut aux prières de la duchesse de Savoie. Nous avons son testament en latin ; Brantôme nous le