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VOYAGE A CLERMONT.

du monticule, et elle étoit défendue par un château bâti sur le monticule : ce château s’appeloit Clermont. Les habitants de la ville basse ou de la ville romaine, Arverni urbs, fatigués d’être sans cesse ravagés dans une ville ouverte, se retirèrent peu à peu autour et sous la protection du château. Une nouvelle ville du nom de Clermont s’éleva dans l’endroit où elle est aujourd’hui, vers le milieu du viiie siècle, un siècle avant l’époque fixée par Guillaume de Tyr.

Faut-il croire que les anciens Arvernes, les Auvergnats d’aujourd’hui, avoient fait des incursions en Italie, avant l’arrivée du pieux Énée ? Ou faut-il croire, d’après Lucain, que les Arvernes descendoient tout droit des Troyens ? Alors ils ne se seroient guère mis en peine des imprécations de Didon, puisqu’ils s’étoient faits les alliés d’Annibal et les protégés de Carthage. Selon les druides, si toutefois nous savons ce que disoient les druides, Pluton auroit été le père des Arvernes : cette fable ne pourroit-elle tirer son origine de la tradition des anciens volcans d’Auvergne ?

Faut-il croire, avec Athénée et Strabon, que Luerius, roi des Arvernes, donnoit de grands repas à tous ses sujets, et qu’il se promenoit sur un char élevé en jetant des sacs d’or et d’argent à la foule ? Cependant les rois Gaulois (César. Comm.) vivoient dans des espèces de huttes faites de bois et de terre, comme nos montagnards d’Auvergne.

Faut-il croire que les Arvernes avoient enrégimenté des chiens, lesquels manœuvroient comme des troupes régulières, et que Bituitus avoit un assez grand nombre de ces chiens pour manger toute une armée romaine ?

Faut-il croire que ce roi Bituitus attaqua avec deux cent mille combattants le consul Fabius, qui n’avoit que trente mille hommes ? Nonobstant ce, les trente mille Romains tuèrent ou noyèrent dans le Rhône cent cinquante mille Auvergnats, ni plus ni moins. Comptons :

Cinquante mille noyés, c’est beaucoup.

Cent mille tués.

Or, comme il n’y avoit que trente mille Romains, chaque légionnaire a dû tuer trois Auvergnats, ce qui fait quatre-vingt-dix mille Auvergnats.

Restent dix mille tués à partager entre les plus forts tueurs, ou les machines de l’armée de Fabius.

Bien entendu que les Auvergnats ne se sont pas défendus du tout, que leurs chiens enrégimentés n’ont pas fait meilleure contenance, qu’un seul coup d’épée, de pilum, de flèche ou de fronde, dûment ajusté dans une partie mortelle, a suffi pour tuer son homme ; que les Auvergnats n’ont ni fui ni pu fuir ; que les Romains n’ont pas perdu