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palais, pour y trouver quelques chefs-d’œuvre des arts. À ces diverses pensées se mêloit une voix intérieure qui me répétoit ce qu’on a cent fois écrit sur la vanité des choses humaines. Il y a même double vanité dans les monuments de la villa Adriana ; ils n’étoient, comme on sait, que les imitations d’autres monuments répandus dans les provinces de l’empire romain : le véritable temple de Sérapis à Alexandrie, la véritable Académie à Athènes, n’existent plus : vous ne voyez donc dans les copies d’Adrien que des ruines de ruines.

Il faudroit maintenant, mon cher ami, vous décrire le temple de la Sibylle, à Tivoli, et l’élégant temple de Vesta, suspendu sur la cascade ; mais le loisir me manque. Je regrette de ne pouvoir vous peindre cette cascade célébrée par Horace : j’étois là dans vos domaines, vous l’héritier de l’Αφελία des Grecs, ou du simplex munditiis[1] du chantre de l’Art poétique ; mais je l’ai vue dans une saison triste, et je n’étois pas moi-même fort gai[2]. Je vous dirai plus : j’ai été importuné du bruit des eaux, de ce bruit qui m’a tant de fois charmé dans les forêts américaines. Je me souviens encore du plaisir que j’éprouvois lorsque, la nuit, au milieu du désert, mon bûcher à demi éteint, mon guide dormant, mes chevaux paissant à quelque distance, j’écoutois la mélodie des eaux et des vents dans la profondeur des bois. Ces murmures, tantôt plus forts, tantôt plus foibles, croissant et décroissant à chaque instant, me faisoient tressaillir ; chaque arbre étoit pour moi une espèce de lyre harmonieuse dont les vents tiroient d’ineffables accords.

Aujourd’hui je m’aperçois que je suis beaucoup moins sensible à ces charmes de la nature ; je doute que la cataracte de Niagara me causât la même admiration qu’autrefois. Quand on est très-jeune, la nature muette parle beaucoup ; il y a surabondance dans l’homme ; tout son avenir est devant lui (si mon Aristarque veut me passer cette expression) ; il espère communiquer ses sensations au monde, et il se nourrit de mille chimères. Mais dans un âge avancé, lorsque la perspective que nous avions devant nous passe derrière, que nous sommes détrompés sur une foule d’illusions, alors la nature seule devient plus froide et moins parlante, les jardins parlent peu[3]. Pour que cette nature nous intéresse encore, il faut qu’il s’y attache des souvenirs de la société ; nous nous suffisons moins à nous-mêmes : la solitude absolue nous pèse, et nous avons besoin de ces conversations qui se font le soir à voix basse entre des amis[4].

Je n’ai point quitté Tivoli sans visiter la maison du poëte que je

  1. « Élégante simplicité. » Hor.
  2. Voyez la description de Tivoli, p. 277.
  3. La Fontaine.
  4. Horace.