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teur romain à ce Capitole que Cicéron appelle le conseil public de l’univers :

Romanos ad templa deum duxere triumphos.

À tous les bruits ordinaires des grandes cités se mêle ici le bruit des eaux que l’on entend de toutes parts, comme si l’on étoit auprès des fontaines de Blandusie ou d’Égérie. Du haut des collines renfermées dans l’enceinte de Rome, ou à l’extrémité de plusieurs rues, vous apercevez la campagne en perspective, ce qui mêle la ville et les champs d’une manière pittoresque. En hiver les toits des maisons sont couverts d’herbes, comme les toits de chaume de nos paysans. Ces diverses circonstances contribuent à donner à Rome je ne sais quoi de rustique, qui va bien à son histoire : ses premiers dictateurs conduisoient la charrue ; elle dut l’empire du monde à des laboureurs, et le plus grand de ses poètes ne dédaigna pas d’enseigner l’art d’Hésiode aux enfants de Romulus :

Ascræumque cano romana pcr oppida carmen.

Quant au Tibre, qui baigne cette grande cité et qui en partage la gloire, sa destinée est tout à fait bizarre. Il passe dans un coin de Rome comme s’il n’y étoit pas ; on n’y daigne pas jeter les yeux, on n’en parle jamais, on ne boit point ses eaux, les femmes ne s’en servent pas pour laver ; il se dérobe entre de méchantes maisons qui le cachent, et court se précipiter dans la mer, honteux de s’appeler le Tevere.

Il faut maintenant, mon cher ami, vous dire quelque chose de ces ruines dont vous m’avez recommandé de vous parler, et qui font une si grande partie des dehors de Rome : je les ai vues en détail, soit à Rome, soit à Naples, excepté pourtant les temples de Pœstum, que je n’ai pas eu le temps de visiter. Vous sentez que ces ruines doivent prendre différents caractères, selon les souvenirs qui s’y attachent.

Dans une belle soirée du mois de juillet dernier, j’étois allé m’asseoir au Colisée, sur la marche d’un des autels consacrés aux douleurs de la Passion. Le soleil qui se couchoit versoit des fleuves d’or par toutes ces galeries où rouloit jadis le torrent des peuples ; de fortes ombres sortoient en même temps de l’enfoncement des loges et des corridors, ou tomboient sur la terre en larges bandes noires. Du haut des massifs de l’architecture, j’apercevois, entre les ruines du côté droit de l’édifice, le jardin du palais des césars, avec un palmier qui semble être placé tout exprès sur ces débris pour les peintres et les